CRITIQUE. « Pelléas et Mélisande » – de Maurice Maeterlinck – Mise en scène : Julie Duclos – Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris – Du 22 février au 21 mars 2020.
Cette célèbre histoire d’amour créée par Maurice Maeterlinck en 1893, fer de lance du théâtre symbolique de cette époque et qui a inspiré nombre de compositeurs, va au-delà du simple sentiment amoureux. Indéterminé dans l’espace et dans le temps c’est un conte poétique qui nous plonge au cœur d’un microcosme dans un château obscur entouré de sombres forêts envahissantes, mystérieuses où l’on peine à voir le jour. On y découvre des grottes profondes et ténébreuses où l’on rencontre des pauvres endormis, victimes de la famine qui touche le pays, des fontaines insondables dont on ne perçoit pas le fond. La mer n’est pas loin mais sa côte hostile donne plus une impression d’enfermement que de liberté. On veut partir mais où aller ?
Cette atmosphère lourde et oppressante dans laquelle on pressent le drame à venir, cet environnement sombre et étouffant, ce sentiment permanent de ne pas savoir où l’on va, le fait de subir plus que de décider font l’écho aux angoisses du monde actuel au travers d’un langage poétique et de symboles souvent plus signifiants que de longs discours.
Le prince Golaud, égaré dans la forêt lors d’une partie de chasse rencontre Mélisande, jeune fille craintive, farouche, venue d’on ne sait où, dont on ignore tout du passé. Golaud épouse Mélisande qui tombe amoureuse du demi-frère de son époux, Pelléas. C’est une simple histoire d’amour et de jalousie dans laquelle les personnages semblent sous l’emprise d’un destin inéluctable et de sentiments qu’ils ne maîtrisent pas.
Julie Duclos situe l’action à notre époque et aborde ce texte avec poésie et délicatesse dans un environnement sombre et onirique qui garde toute sa part de mystères. Certaines scènes comme la rencontre de Golaud et Mélisande dans la forêt ou la recherche de l’anneau dans une grotte sans fond sont filmées et donnent lieux à de magnifiques images en clair-obscur avec des gros plans sur les visages et recréent une atmosphère sombre et mystérieuse.
Un dispositif scénographique à deux niveaux permet de recréer judicieusement les différents lieux de l’action et présente ce drame dans une sorte de huis clos psychologique familial. Tout se passe dans un environnement calme et obscur, dans des lieux où l’on cherche désespérément un rayon de soleil. La passion naissante entre Pelléas et Mélisande, la cristallisation progressive de leur amour ainsi que la jalousie croissante de Golaud restent longtemps intimes et cachées. Puis chacun est entraîné comme dans un tourbillon contre lequel il ne peut rien vers un dramatique dénouement.
Les acteurs sont remarquables de justesse, les passions sont vives mais retenues.
Matthieu Sampeur dans le rôle de Pelléas et Alix Riemer dans celui de Mélisande gardent leur part de mystère et jouent comme dans un rêve avec délicatesse et pudeur. Tout est contenu dans les silences, les regards, les non-dits.
Golaud est remarquablement interprété par Vincent Dissez dans un jeu nuancé. C’est un chasseur, un homme d’action, passionné et rongé par la jalousie. Ses colères et ses accès de violence sont suivis de regrets, de la profonde volonté de rendre Mélisande heureuse, du besoin de comprendre les autres et de se comprendre lui-même.
Enfin Philippe Duclos incarne avec une profonde humanité le roi Arkël, grand-père attentif, compréhensif, tolérant de Golaud et Pelléas. Il tente vainement d’éviter ce drame que tous pressentent et qui lui inspire la pitié : « Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes… ». Mais comment juger les autres quand on ne sait se juger soi-même ?
Julie Duclos nous offre ainsi un « Pelléas et Mélisande » dans une mise en scène poétique et intériorisée au travers d’images d’une grande beauté et dans laquelle la lenteur et les silences ont leur importance. Une vertu peut-être un peu oubliée dans le théâtre contemporain. Un magnifique moment de théâtre !
Jean-Louis Blanc
Photo © Christophe Raynaud de Lage