« LES INDES GALANTES » : COGITO(RE) ERGO SUM

CRITIQUE. « LES INDES GALANTES » – Opéra de Jean-Philippe Rameau – Livret : Louis Fuzelier – Mise en scène Clément Cogitore – Direction musicale : Leonardo García Alarcón – Chorégraphie : Bintou Dembélé – Opéra Bastille, Paris – Jusqu’au 15 octobre 2019 – Durée 3h50 avec 1 entracte – Langue : Français.

Avec « Les Indes galantes », le réalisateur et plasticien Clément Cogitore signe une mise en scène originale qui, faute d’être toujours inspirée, notamment dans le placements des chanteurs, sied bien à cette musique très délicate. C’est pourtant la danse, imaginée par Bintou Dembélé, qui emporte tout. Mi hip-hop, mi Krump, elle vient fouetter l’espace d’une musique pleine de trilles et un livret naïf plein d’amours contraints…

Belle idée donc de Stéphane Lisner, encore Directeur de l’Opéra de Paris, de confier à Clément Cogitore, 36 ans, plus connu pour ses films et ses installations plastiques, sa première mise en scène d’Opéra.

Le metteur en scène casse volontairement quelques codes mais garde, et c’est dommage, la tradition d’arias sur le devant de la scène au milieu, un peu gênant parfois pour des duos d’amour et qui vient amoindrir l’originalité de l’ensemble.

Le premier choix que fait le metteur en scène c’est de mêler tout le monde, chanteurs, danseurs et figurants, comme si son acception de l’opéra passait par la nécessité de ne rien cacher et de faire cohabiter tout le monde.

Sans être ni baroques ni Lacroix, les costumes imaginés par Wojciech Dziedzic apparaissent dès le début, une fois que le prologue est passé, les danseurs déjà allongés au sol, vont se lever et être habillés en scène… Des couleurs sans être dans l’excès, une garde-robe faite de noirs, de dorés, de plumes et de plastique…

Un grand cercle est au centre de la scène et figurera plusieurs espaces qui vont jouer tout au long du spectacle au milieu d’un carcan noir de hauts murs avec, de chaque côté, des portes et, au lointain, une coulissante qui servira pour plusieurs effets.

Les douze danseurs, en académique chair sur lesquels figures des sortes de tatouages, sont habillés et prennent la pose comme dans des séances de vogue in. Ils seront flashés comme pour une séance photo de magasine. Suivez votre ardeur intime Hébé, particulièrement bien chanté par Sabine Devieilhe. Pendant qu’au lointain on pose un gradin de plexiglass blanc, entrent les chœurs qui seront présents souvent pendant l’action de la danse et du chant. Au son du biniou sur scène, quelques danses de cour au centre, audacieusement réinventées par Bintou Dembélé. Elle signe là une proposition tout à fait singulière qui fera date dans l’histoire de la danse dans l’Opéra et ce qui frappe, perdurant pendant tout le spectacle, c’est l’absolue mixité sur scène ; bien longtemps qu’on n’avait pas vu autant de personnes de couleur sur scène dans une salle plus poivre et sel que dreadlocks et casquettes…

Les sons des tambours et musettes sont à peine achevés que les soldats, façon Robocop, arrivent sur scène et Bellone, magistralement interprété par Florian Sempey, royal, appelle les hommes à s’engager pour aller faire la guerre… Et dès ce moment, dans un flot de bonnes idées, il est dommage que la mise en scène se fasse toujours de face et ne prenne pas le risque de jouer vraiment la différence au profit d’images pour le coup désuètes et déjà vues ; mais l’ensemble convainc quand même, simple erreur de jeunesse…

L’opéra joue à plein… au lointain, les dessous et dessus servent et Clément Cogitore peut se laisser aller à des facéties comme lorsqu’il fait disparaître les soldats par ce grand cercle, sorte de gueule ouverte au milieu de la scène. L’amour paraît et dans ce prologue le timbre clair de Jodis Devos emporte les suffrages. Il est temps d’ailleurs de dire que les chanteurs comme les musiciens et le chef sont formidables d’engagement dans ce projet puisque même Amour dansera plus tard et c’est un régal de voir que les chanteurs ont vraiment joué le jeu…

Le monde de Cogitore n’est pas rose. Il n’a pas fait passer le côté féérique des « Indes Galantes » au-dessus de ce qu’il voit lui-même dans son quotidien comme cet univers de jeux électroniques et autres avatars humains-humanoïdes…

Le second tableau annonce « le turc généreux » et ce titre est conforme à la mode de l’époque que Jean-Philippe Rameau donne à entendre à travers le livret original de Louis Fuzelier. De gros cubes sont apportés par des manutentionnaires en combinaison orange fluo, qu’on ne s’attend, évidemment pas, à voir dans un opéra baroque… Et commence la longue litanie propre à cet opéra – et ceux de son époque – d’amours contrariés de sentiments contraints et obligés… « vous aimez un objet que vous ne verrez plus » dit Osmane – Edwin Crossley-Mercer, éblouissant – à Emilie chanté par l’impeccable Julie Fuchs dans le meilleur de sa forme – tous ayant un phrasé « français » parfait, rendant les surtitres presque superflus…

Et c’est dans ce tableau que la note futuriste et originale de Cogitore fait son entrée : un immense bras de levage qui vient des cintres et va chercher cette coque d’un navire échoué d’où sortiront force migrants dont Valère, l’amant d’Emilie, prisonnière d’Osman sur une ile lointaine… Cet apport futuriste (déjà vu chez Roméo Castelluci, mais pourquoi pas encore ici) et cet écho à l’actualité sont pour beaucoup dans l’empathie qu’on a pour ce travail… Dans des combinaisons de décontamination blanches immaculées, les migrants sont serrés dans des couvertures de survie permettant à ces Hommes, tout droit sortis du « Radeau de la méduse » de se réchauffer un peu…

Une fois que « les zéphirs et tendres amants ont « volé », que les uns et les autres ce sont hâtés d’embarquer que le bras de levage, sorte de mobile à la Calder, s’est replié, on peut passer au troisième tableau « Les incas du Pérou »…

L’action se passe derrière un tulle. Huascar – Alexandre Duhamel, très puissant – et Phani – toujours l’excellente Sabine Devieilhe – se content fleurète… et c’est dans cette partie que Calvin Hunt Aka Kal magnifique, sublime danseur ! exécute un solo d’une façon prodigieuse.

La mise en scène joue sur les mouvements de foules, les marches lentes et décalées du pop in… « Soleil, on a détruit tes superbes asiles », déjà noté au 18ème siècle… rien ne change donc… Le bras de levage reprend du service pour nous apporter, justement, un immense écran lumineux figurant le soleil, façon Times square : excellente introduction de la technologie qui nous a évité l’énième contre champs avec caméra vidéo et écran de cinéma qu’on voit partout. Merci. Mais nous vaut une série de selfies avec portable ; clin d’œil bienvenu…

« Que l’on est criminel lorsqu’on ne plait pas » pendant qu’un battle se déroule au lointain et que l’effet « dalle de banlieue » se recréé un instant sur cette séquence…

Après l’entre-acte où c’est « le temps des Fleurs, fêtes persanes » ou Cogitore a imaginé une sorte d’Amsterdam, faite de cabines où les femmes se montrent. Des musiciens sont sur la scène dont le clavecin. Tacmas est travesti en femme – très troublant Mathias Vidal, plus convainquant ici qu’en Valère – les cabines s’échappent dans les cintres, un manège surgit des dessous, les enfants font leur entrée… on sent ici un petit manque de souffle et d’audace de Cogitore qui laisse l’action se dérouler sans choisir son camp. Cela se laisse voir cependant… L’air du Papillon inconstant avec ce magnifique envol dans les cintres est aussi un beau moment du spectacle…

Soudain, le sol s’enflamme, après le manège, un kiosque à musique arrive… les pom-pom girls font leur entrée… Le célèbre rondeau des « Indes Galantes », un magnifique mouvement d’ensemble réglé façon Thriller vient enivrer la scène. Le public est en liesse, c’est mérité. Une rampe de Zvoboda, les plus belles lumières qu’on puisse faire, laissent place à un final façon battle du plus bel effet…

Des « Indes Galantes » plongées dans un bain de jouvence, un spectacle que peu de jeunes des cités verront et ils ne sauront pas comment leur langage, leur danse se marie si bien avec le baroque !

Emmanuel Serafini

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