« EN GARDE À VUE » : PRENEZ GARDE, RIEN À VOIR !

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CRITIQUE. « En garde à vue », d’après le roman Brainwash de John Wrainright, adapté pour le théâtre par Francis Lombrail et Frédéric Bouchet, mis en scène par Charles Tordjman assisté par Pauline Masson. En ce moment au théâtre Hébertot, Paris.

Charles Tordjman triomphe avec « Douze hommes en colère », une adaptation ambitieuse et courageuse d’un grand classique du cinéma de huis-clos. C’est probablement fort de ce succès qu’il a entrepris, en renouvelant sa collaboration avec Francis Lombrail, d’amener vers la scène le roman plébiscité de Wrainright avec le courageux pari de passer après le septième art. Hélas, ce que Claude Miller avait su extraire du roman, l’adaptation de Lombrail et Bouchet l’a sacrifié. Le texte, périlleusement élagué, s’effondre : ce n’est pas fade, c’est insipide, et pire, c’est plat. Les répliques sont mal assorties, desservent leur propre enchaînement, ne sont propices qu’à la mollesse, confinent à l’artificiel, et étouffent le hors texte, qui reste désespérément hors scène.

On fait facilement confiance à Charles Tordjman, et à raison. Son sens du rythme et de l’exploitation de l’espace, son esthétique épurée, sa capacité à créer de réelles synergies dans ses distributions sont maint fois prouvées. La distribution elle-même est un gage de haute tenue : « J’ai la chance d’avoir une distribution de haut vol » nous dit le metteur en scène : on est bien d’accord. Wladimir Yordanoff, Molière 2016, Marianne Basler, Molière 2000, Thibault de Montalembert, grandiose dans la série à succès « Dix pour cent », et évidemment Francis Lombrail, remarquable dans « Douze hommes en colère » – que de promesses ! Hélas !

Wladimir Yordanoff a le mérite d’avoir indéniablement opéré un travail de composition. Il a su, et c’est admirable, déparer le commissaire qu’il interprète du costume mille fois trop grand de Lino Ventura : il l’a repositionné, réinventé, désarticulé puis réarticulé avec le talent et l’intelligence d’un grand comédien. Ce n’est certes pas joué avec beaucoup de conviction, mais il manque cruellement de matière pour briller, et parvient tout de même à éclairer cette pièce bien terne.

Les répliques de Thibault de Montalembert sont quasiment indéfendables, on a tellement taillé son personnage qu’on l’a désépaissi, et la descente psychologique n’a pas lieu d’être car pas lieu pour être. Le comédien n’y est pour rien, il n’y avait rien à faire. Face à lui, Francis Lombrail défend son travail, pas trop mal non plus, et lui a l’air d’y croire -le contraire serait un comble. Reste Marianne Basler qui, elle, a dû démissionner. Il y a un petit peu de matière, cette fois, dans ce rôle féminin ultra hystérisé, entre la colère, le dégoût et l’horreur du soupçon : c’est un personnage extrême, qui flirte avec la folie. Elle n’en a visiblement cure. Sa proposition est si peu investie qu’elle en est presque irrespectueuse.

Et pourtant, Charles Tordjman a envie, ce sont ses mots, de parler de la honte, du droit à l’innocence, des incompréhensions, des échecs, du doute. Il a envie de proposer avec « En garde à vue » un théâtre « où parfois le hasard fait se retourner, selon des logiques implacables, la nature même des êtres ». Quel que soit le sens de cette phrase qui implique l’oxymorique logique du hasard, il promet un retournement, un théâtre psychologique, un creusement, une fouille de ces abysses explorées par Wainwright. Le résultat mériterait le secours du titre original « Brainwash » pour qu’on comprenne où on veut en venir, ce qui est en soi un solide désaveu. On nous promet un moment où « le suspense est roi », on assiste à un mauvais polar dont les ficelles sont évidentes et qu’aucune qualité dramaturgique ne permet d’épaissir.

Le décor de Vincent Tordjman est assez élégant, les lumières de Christian Pinaud sont superbes, elles sauvent probablement l’ennui esthétique de cette très longue heure et demie, et les costumes de Cidalia Da Costa sont de bon goût. On est très enthousiaste les dix premières minutes, parce qu’on adore la distribution, et surtout grâce à cette équipe de support scénique qui fait des promesses que ni les comédiens, ni la mise en scène et surtout pas le texte ne tiennent. Notons tout de même que « Douze hommes en colère » est revenu début octobre sur la scène de l’Hébertot, et que vous vous rendrez un meilleur service, ainsi qu’à Charles Tordjman et à Francis Lombrail, en allant applaudir ce petit régal. Oublions vite « En garde à vue ».

Marguerite Dornier

« En garde à vue », avec Wladimir Yordanoff, Thibault de Montalembert, Marianne Basler, Francis Lombrail, et avec les décors de Vincent Tordjman, les lumières de Christian Pinaud, les costumes de Cidalia da Costa et les musiques de Vicnet.

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