CRITIQUE. « An Irish story » – Compagnie Innisfree – Ecrit et joué par Kelly Rivière – Théâtre de Belleville, du 1er octobre au 30 décembre 2019
Des photos épinglées sur deux long fils comme des souvenirs qui sèchent avec le temps, une petite estrade de bois avec un tabouret en laine de faux mouton et quelques livres : c’est ainsi que s’offre au premier regard l’histoire irlandaise que Kelly Rivière/Ruisseau, s’apprête à raconter. Un univers où l’intimité d’une famille se mêle au destin du peuple irlandais dont la pièce rappelle avec justesse qu’il est toujours méprisé par le grand voisin britannique, qu’il est pétri de bondieuseries et de contradictions, qu’il hésite entre demeurer et partir, et qu’il se noie le samedi soir dans la Guinness et la musique.
Travaillant avec subtilité et intelligence les clichés et l’anecdotique, l’auteure et comédienne Kelly Rivière a su créer un monde personnel émouvant, drôle souvent poétique et désarmant. Son récit est d’autant plus captivant qu’il compte les péripéties, hautes en couleur d’une enquête sur un disparu de sa famille, en l’occurrence le grand père Peter O’Farrell : en cela la référence à Sherlock Holmes n’est pas fortuite – on retiendra d’ailleurs la très cocasse scène chez le détective privé.
Mais ce qui touche derrière cette histoire c’est le portrait très juste et sincère que dresse l’héroïne de sa relation complexe avec sa mère et sa famille. Pour cela, en comédienne acrobate, Kelly Rivière rebondit avec virtuosité d’un personnage à l’autre, d’une langue à l’autre, d’un accent à l’autre, d’une voix à l’autre, d’une gestuelle à l’autre, tout en restant elle-même. Elle offre au public ce tour de force d’autant plus réussi qu’il se fait le plus naturellement du monde avec un économie de moyens dans le jeu, qui marque un talent d’actrice accomplie : aussi un simple clin d’œil fait-il passer de la fille à la mère, une larme glisse du visage de la grand tante à celui de sa nièce, le bras tendu relie le petit garçon à son oncle… Kelly Rivière est ainsi capable de réaliser avec netteté toutes ces métamorphoses quasi-simultanées sans que jamais il n’y ait confusion ni posture forcée: le sommet est atteint dans la désopilante scène du pub où dans la même ronde défilent la fille, la mère, un violoniste édenté et un chanteur dragueur.
Outre le brio du jeu et de la mise en scène, l’autre clé de cette réussite sont un savant dosage entre un humour pince sans rire à la sauce britannique (euh pardon irlandaise !) et une émotion distillée avec soin. En cela le texte de Kelly Rivière exprime une délicatesse qu’il n’est pas toujours facile de trouver dans des « seul en scène » autobiographiques que peuvent parfois plomber l’exhibitionnisme, le pathos et le manque de recul.
« An irish story » mérite amplement qu’on s’y plonge !
Jérôme Gracchus
Intereesting thoughts