CRITIQUE . « Lewis versus Alice » d’après Lewis Carroll – Mise en scène : Macha Makeïeff – du 30/09/19 au 13/10/19 – Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis
L’univers si particulier des oeuvres plastiques de Macha Makeîeff vues au dernier Festival d’Avignon refait surface dans sa mise en scène de « Lewis versus Alice ». Au-delà de l’œuvre, il s’agit là plutôt de mettre en miroir l’écrivain et les créatures sorties de son imagination. Si Alice est connue, Lewis Carroll (1832-1898) de son vrai nom Charles Lutwidge Dodgson l’est beaucoup moins, et pour cause ! Durant toute sa vie, l’homme a tout fait pour cacher au monde son pan littéraire. Avec son « Lewis versus Alice », la metteuse en scène s’attache à faire redécouvrirson œuvre par un prisme laissant apparaître la vie de l’homme.
En quatre tableaux à l’esthétique victorienne très travaillée, animaux empaillées, miroir au reflet incertain, Macha Makeïeff ouvre le livre de la vie de Charles Lutwidge Dodgson et tente d’éclairer le récit et sa genèse au travers des fêlures de la vie de l’écrivain. De son enfance dans une famille nombreuse en passant par la traumatisante « Rugby School » où brimades et châtiments corporels sont légion, surtout pour un enfant à la fois gaucher et bègue, puis à sa vie d’adulte bien terne au sein de la « Christ Church College » à Oxford, les tableaux décortiquent les écrits et tentent de donner une vision en miroir d’Alice et se son créateur.
Pour le coup, Macha Makeïeff a dû puiser dans l’ensemble de l’œuvre de l’auteur, allant des « Aventures d’Alice au pays des merveilles » à « La chasse au Snark ». L’univers onirique est là avec sa myriade de personnages loufoques comme le lapin, le chat du Cheshire, Tweedledum et Tweedledee, la reine et bien d’autres particulièrement mis en valeur par un beau travail sur les lumières de Jean Bellorini offrant de magnifiques clairs-obscurs et une ambiance très particulière. Le public retrouve ici l’univers de la metteuse en scène entre un cabinet des curiosités et un Jules Verne fantasmé.
Rappelant l’imaginaire collectif des représentations d’Alice, les scènes sont joliment portées par les compositions de Clément Griffault. Voulant rappeler sans cesse l’auteur, la répétition fréquente du texte en anglais, voire des passages entiers dans la langue de Shakespeare, n’apporte au mieux pas grand-chose et au pire quelques longueurs répétées.
Même si le tout fonctionne assez bien il paraît vite évident que le spectacle manque de souffle, d’élan et de spontanéité. A trop vouloir conceptualiser et mettre en miroir on oublie vite toute la poésie de l’œuvre. Semblant vouloir expliquer tout, Macha Makeïeff omet l’émotion et l’enchantement qu’auraient pu offrir son Alice, gomme et efface aussi toutes polémiques et interrogations que pourraient susciter la vie de Charles Lutwidge Dodgson ou ses passions juvéniles.
Dommage que la metteuse en scène n’ait pas su aller réellement au fond des choses en teintant son Alice d’une noirceur humaine moins manichéenne et offrir par là même un travail plus complet sur la nature nuancée de Dodgson. Malgré un travail soigné Macha Makeïeff ne parvient pas à convaincre par cette proposition à l’esthétique léchée mais au propos amputé qui offre en définitive trop peu d’émotions au gré de tableaux qui s’enchaînent sans passion ni conviction.
Pierre Salles