CRITIQUE. «Narcisse et Echo» de David Marton – Au théâtre de Vidy-Lausanne du 12 au 15 septembre 2019.
Après son inoubliable adaptation musico-théâtrale de «La Sonnambula», le metteur en scène David Marton s’inspire du mythe de Narcisse et Echo, d’après « Les métamorphoses » d’Ovide. Une exploration théâtrale du son, de la musique et de l’image.
Narcisse et Echo, l’image et le son. Le spectacle commence par une attente baignée d’images et de sons, d’où des bribes de reconnaissances mémorielles jaillissent ici et là. Un objet ou une mélodie qui se présentent à notre regard ou à notre ouïe.
Sur le plateau, cinq cages ou cabines de couleurs différentes, constituées de parois transparentes. On distingue un piano dans l’une, une autre est garnie de plantes vertes, et dans une troisième, incongru, un tourniquet à cartes postales vide. Les sonorités qui nous entourent sont empreintes de mystère, assourdies, graves. Un passage de chant lyrique, un extrait de générique connu, un souffle de vent…
Cinq comédiens, loufoquement sérieux (ou sérieusement loufoques), un texte, celui d’Ovide, des sons, parlés, criés, chantés, murmurés, enregistrés, et des musiques, assemblages de mélodieux et de dissonant, telle une mosaïque auditive. C’est un mélange inattendu, surprenant et totalement original. Une forme théâtrale qui adhère au thème des métamorphoses, là où doux et harmonieux s’enchevêtrent avec tonitruant et abrupt.
Les personnages investissent chacun une cage. Un pianiste. Un trompettiste. une jeune fille. Leurs parois deviennent miroirs pour leur occupant. Un homme éprouve les textures variées de l’eau. Une femme se pomponne avec soin, sort, puis change d’avis à peine la porte franchie. Confrontation impossible. Enfermement volontaire. Irrémédiable solitude célébrée par Purcell, chantée par ce choeur murmurant.
C’est l’histoire de celui qui, par son dédain des autres, devient «l’aimé et l’amant» à la fois et de celle qui «jamais et toujours répond»: Narcisse, le vase clos, et Echo, condamnée par Junon à répéter des sons, démunie du libre usage de sa parole. Tous deux encagés dans leur reflet, l’un de sa propre image, l’autre de sa voix. Des cages lumineuses, scintillantes, mobiles, colorées, où ils sont captifs. Du miroir à l’écran, avons-nous franchi le pas?
Le poème de la jeune fille, livrant timidement, presque sous la contrainte, ses malaises existentiels, semble l’unique authenticité qu’elle se permette… Recouvert alors par des projections ruisselantes, son visage se décale de lui-même provocant l’illusion d’un «moi» démultiplié où son reflet prend vie. Une très belle scène.
La splendide scénographie de Christian Friedländer sublime le propos mythologique tout en l’actualisant. Mêlée aux lumières de Henning Streck, c’est par moment une véritable symphonie d’images lumineuses. La création sonore (Daniel Dorsch) modulée dans son intensité et sa texture, reflète le sens expressif du récit, tour à tour écrasant, tourmenté puis délicat et étincelant. Elle est accompagnée en direct par le trompettiste Paul Brody et du pianiste Michael Wilhelmi. Les comédiens jouent d’un burlesque accompli. Et comme dans les mythes, certains mystères demeurent. Ainsi, pourquoi le bras en écharpe? La cigarette?
«L’image qui s’offre à tes propres regards n’est que ton ombre réfléchie; elle n’a rien de réel; elle vient et demeure avec toi; elle disparaîtrait si tu pouvais t’éloigner de ces lieux.» (Ovide, «Echo» III, 365-510)
Culturieuse,
à Lausanne
image Nutith Wagner-Strauss