« LA VERITABLE HISTOIRE DU CHEVAL DE TROIE », UN RHAPSODE AUX DECHARGEURS

troie

CRITIQUE. « La véritable histoire du Cheval de Troie » – Textes de Virgile et Homère, mis en scène et adaptés par Claude Brozzoni, avec Guillaume Edé et Claude Gomez (voix et accordéon), au théâtre Les Déchargeurs, les lundis à 21h jusqu’au 16 décembre.

La rencontre entre les Déchargeurs, théâtre du dire poétique et de la force du verbe, et Brozzoni, la compagnie des mots incarnés, relève d’une jolie évidence.

Claude Brozzoni actualise avec son comédien des traditions poétiques que la sédentarisation des théâtres a peut-être démodées. « La véritable histoire du Cheval de Troie » est un spectacle des grands chemins ; Guillaume Edé, le barde, et Claude Gomez, son musicien sentent la liberté et le voyage, ils respirent le ciel ouvert et une sorte de bohême.

On les aurait bien vu poser leurs tréteaux sur la grand place d’un village, le parvis d’une église ou dans la cour d’un château médiéval. Après un proême* de toute beauté, interprété avec une qualité quasi-opératique par Guillaume Edé, la première partie du spectacle survole les derniers chapitres de l’Illiade : avec tout un cabotinage de circonstance, le comédien chanteur ameute la foule et nous accroche comme des passants. Pas de cithare : au XXIème siècle, l’instrument du poète et du conteur populaire, c’est l’accordéon de Claude Gomez.

Dans la salle, les rires fusent avec la générosité ravie des bonnes surprises. Histrion, pantomime, bouffon, Guillaume Edé déploie énergiquement tous les ressorts d’une théâtralité de rue. On dirait que ses vifs coups d’œil à la salle jaugent un attroupement de badauds curieux ou déjà conquis : à l’en croire, les Déchargeurs sont à ciel ouvert, et on se laisserait bien prendre au jeu.

A toute allure, il balance la pomme d’or au banquet de Zeus avec la perfide Eris, il déniche le berger Pâris, qui n’est pas un berger, il le ramène à ses parents, l’emmène à Sparte, trimballe Hélène jusqu’à Troie, organise la flotte gigantesque des Grecs sous l’égide d’Agamemnon et son frère offensé, et s’active sans succès aux portes du royaume de Priam pendant dix ans. Or, si le divertissement détourne de l’essentiel, c’est bien qu’il sait précisément où il se trouve. Quand les rires sont bien gros et repus, avec ce petit soupir d’aise qui traverse l’assemblée comme un frisson agréable, le ménestrel attrape au vol ce souffle diffus, et le retient ; sa posture devient plus grave, plus solennelle, et le ménestrel se fait aède. Place au chant tragique, à la véritable histoire du Cheval de Troie.

D’aucuns ont peut-être en mémoire comment le cheval est finalement entré dans Troie. On se souvient confusément qu’il fut laissé comme un leurre d’offrande par les Grecs, et que les Troyens cédèrent à l’orgueil, puis à l’ébriété, et laissèrent benoîtement entrer l’ennemi dans leurs imprenables murs. La fameuse ruse d’Ulysse est plus élaborée, et la voix grave de Guillaume Edé redit fort bien ces vers oubliés. Puis vient le long gémissement de l’exil, et les vers de Virgile suivent les Troyens hors de la ville assiégée jusqu’aux bords de la mer qu’affronteront dans l’odyssée latine Enée et mille âmes apatrides.

« La véritable histoire du Cheval de Troie » ne se contente pas de démontrer une fois de plus l’atemporalité des textes antiques, qui n’ont pas besoin de l’once d’un remaniement en 2019. Le spectacle de Claude Brozzoni réhabilite une théâtralité léguéé par les aèdes, les bardes, les rhapsodes et les ménestrels, qu’on a évincée des théâtres clos comme si le théâtre n’était pas, justement, un magicien ouvreur de ciels.

Marguerite Dornier

* Le proême est un chant court servant de prélude à l’épopée.

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