« HATE », PERFORMANCE FUNAMBULE DE LAETITIA DOSCH

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Gimel, correspondance

CRITIQUE. « Hate, tentative de duo avec un cheval» de Laetitia Dosch, avec la participation de Yuval Rozman. Du 29.08 au 1.09 en extérieur à Gimel, production Théâtre de Vidy-Lausanne.

Un site sublime. En pleine campagne, face à la forêt, le lieu de vie de Corazon (Ecole-Atelier Shanju, Gimel) accueille, sous le soleil, un public ravi. Le « plateau », une piste sableuse, est de forme carrée et clôturé de façon légère. Corazon, le blanc destrier, attend. Sa capacité d’immobilité est impressionnante. Il ne se laisse distraire ni par l’installation des spectateurs dans les gradins, ni par ses congénères qui assistent eux aussi à la représentation, ni par la chèvre vagabonde ou le chat à l’affut dans le pré voisin.

C’est du fond de ce pré que surgit Laetitia Dosch. Telle une dame blanche, elle apparait au loin, s’approche, franchit un fossé et entre dans le parc.

Instant suspendu, le cheval et elle tournent la tête de concert vers le lointain, scrutant la forêt profonde.

Elle ôte sa robe, maintenant vêtue d’une tenue de guerrière amazone, un petit sabre au flanc. Et c’est bien ce qu’elle tient à évoquer, un personnage déterminé, hors-cadre, actif. Une combattante, héroïne de son propre destin, une figure mythique prête pour une lutte ambigüe dont le prix sera l’autonomie.

Elle entame alors un soliloque puissant, faisant la liste d’expériences, de tentatives, de rencontres, désespérant de l’effondrement du monde, dans une « ambiance fin de race ». Pour terminer par une danse que le cheval accompagne, seule personne avec qui elle se sent bien.

Celui-ci semble prompt à l’improvisation et la représentation se déroule avec sa participation active et pourtant détachée. On peine à discerner une équité entre son imposante présence, sa liberté animale et la fine silhouette dénudée de l’actrice. C‘est pourtant de cette dernière que surgira peu à peu la contrainte.
Commence alors une conversation fictive entre Corazon et Laetitia où s’ébauche leur histoire d’amour. Elle lui prête une troublante voix mâle et instaure un dialogue apparemment naïf : innocent, cru, empathique, entre le risible et l’émouvant, et qui débouche sur un rap déjanté, expulsant un mal-être partagé par plus d’une, faisant naître cette violence si aisément dirigée contre des êtres faibles et soumis.

Le cheval et la femme, deux êtres domestiqués. Deux êtres que l’on remet sans cesse à une place choisie par ceux qui les dominent. Et ce spectacle, une heure ensemble pour se permettre d’être un plus libres que d’habitude.

Laetitia selle le cheval et lui rend «sa place» d’animal assujetti. Une jeune cavalière l’enfourche et cavalcade autour de l’enclos pendant que la comédienne chante la docilité de l’être en quête de tendresse: «J’apprendrai ton programme comme un accomplissement».

Les dernières paroles sont animales: prendre garde à ce qui se tapit derrière les choses, les attitudes, les sentiments.

«J’ai grandi dans un appartement parisien au milieu d’animaux.
Il y a ceux qu’on recueille lorsqu’ils sont blessés, ceux qu’on mange, ceux qui sont nos compagnons, ceux qu’on cloue aux murs lorsqu’ils sont morts, ceux dont on met les oeufs dans des boîtes.(…) J’ai grandi dans cet appartement et cet appartement est une forêt. Les humains y aiment les animaux en les haïssant. Les humains y aiment les humains en les haïssant.
»

Ce spectacle est en fait une véritable performance de funambule, l’une se trouvant toujours à la merci d’une attitude animale imprévue… et inversement! Tendre vers l’équité est un équilibre instable. C’est une tentative de partenariat en forme de discours amoureux, mais dont certains fragments laissent apercevoir une haine ordinaire, celle dont l’humain, empêtré dans ses contradictions, aimerait nier l’existence.

Que cette pièce soit jouée au centre du macrocosme est d’une logique indiscutable. Que cette fable nous soit racontée en pleine nature est d’une éminente splendeur.

Culturieuse,
à Gimel(CH)

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