CRITIQUE. 73e FESTIVAL D’AVIGNON. « Outside » – Kirill Serebrennikov – L’Autre Scène, Vedène – du 16 au 23 juillet 15h00, relâche le 21 – durée 2h.
ENFIN !
Il ne faut pas mettre entre toutes les mains les livres des Editions Taschen, il y en a à qui cela donne des idées, et des bonnes !
Ren Hang. Mort à 29 ans. Il laisse derrière lui une œuvre photographique immense pour un artiste qui a pratiqué à peine dix ans.
Kirill Serebrennikov, cinquante ans cette année, a pris le livre des photos de Ren Hang et en a compris le message. Comment le savons-nous ? Grâce à « Outside » présenté au Festival d’Avignon.
Le spectacle – total : théâtre, musique, danse, scénographie… et peu de costumes (parfois !) – est d’une fidélité au sens de l’œuvre de Ren Hang dont le metteur en scène Russe voulait se rapprocher pour un projet mais n’en eu pas le temps puisque, quelques jours avant leur rencontre, Ren Hang s’est défenestré…
Avec toute cette dose de malheurs, les censures et poursuites dont font l’objet les deux artistes – et on ne peut s’empêcher les parallèles entre leurs deux situations, eux qui vivent dans deux pays (néo)communistes ; victimes tous deux de l’arbitraire.
Kirill Serebrennikov pour son troisième spectacle à Avignon offre une pièce composée de toute la palette chromatique du photographe : du carmin du rouge à lèvres des femmes aux cheveux noirs de ses congénères chinois. L’esthétisme absolu des photos de Ren Hang trouve sa place dans une histoire, sorte de bio-pic réussi du jeune photographe.
Le décor se déplace au gré des scènes. On s’installe dans la salle et déjà des ouvriers habillés en noir collent un immense poster d’une ville avec, au premier plan, une femme nue allongée. Une fenêtre et son climatiseur sont posés sur une petite scène à roulettes qui se déplacera tout au long des une heure quarante cinq que dure le spectacle.
Cette fenêtre est centrale et les premiers mots du narrateur, qui peut être Kirill Serebrennikov, parle de cet enfermement, rappelle Platon et sa Caverne, évoque le fugitif qui ne peut pas sortir comme ce fut son cas. Troublant. Le personnage vit avec son ombre sur le sol. Il dialogue avec elle.
La volonté de Kirill Serebrennikov de montrer l’ampleur de l’œuvre du Ren Hang ne résiste ni à la bienséance, ni aux dogmes du théâtre, ni à rien ! N’entend-on pas : « la liberté c’est quand tu es prêt à tout » ; c’est dit !
Le spectacle affiche assez vite son slogan : Hold On/Tenez bon ! comme un message qu’il lui faut affirmer, au cas où l’œuvre elle-même -sa forme opératique, son immense provocation- n’aurait pas suffi.
Kirill Serebrennikov raconte les photos. Il justifie le sens par des actions qui amènent à la création in vivo de l’œuvre et il faut rendre un immense hommage aux comédiens, musiciens, danseurs qui donnent tout et montrent tout, c’est le cas de le dire, mais sans jamais tomber dans la vulgarité, en tentant de justifier leur état par l’incroyable force de l’oeuvre du photographe dont la vie, les moments de doutes, les visions sur l’art entrecoupent l’immense fresque géante que se propose de réaliser le metteur en scène.
Just do it ! lit-on sur les T-shirts de la troupe et ils l’ont fait ! Ils ont montré une œuvre à la fois forte et transgressive dans un festival qui cette année semblait manquer de souffle et dont cette pièce prouve qu’il est encore possible de montrer des spectacles qui en ont et surtout qui vous en donnent. Enfin, Outside redonne confiance dans le spectacle vivant !
Emmanuel Serafini
Photos © Ira Polyarnara, Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon