« LA BELLE SEINE SAINT-DENIS A AVIGNON » : UN PROGRAMME DENSE ET REVIGORANT

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CRITIQUE. AVIGNON OFF 19. La belle Seine St Denis à Avignon – 3 spectacles : « We are not going back », « L’écho d’un infini », « Lou » – La Parenthèse – Du 14 au 19 juillet 2019 – 10h00.

Changement de décors. Après le 14 juillet, dans le Festival comme dans son OFF, les programmes changent, les lieux respirent d’autres énergies venues d’autres artistes qui se précipitent dans la gueule du loup pour rencontrer le public de ce festival… C’est le cas avec La belle Seine St Denis qui présente le matin dès 10h00 trois nouvelles – et passionnantes, disons le tout de suite – propositions à La Parenthèse.

La révolution est en marche !

La première, « We are not going back », nous vient de Mithkal Alzghair, un jeune danseur Syrien, remarqué lors du concours Danse élargie 2016 de Paris & Rennes et qui propose ici trente minutes de sa dernière création. C’est extrêmement fort. Trois danseurs, une femme, deux hommes, rentrent à cour. Ils avancent séparés. Ils gardent même une distance certaine entre eux. Ils avancent à pas lents, mains dans le dos puis mains devant, et encore. La danse se situent dans ces gestes là avant tout. Une musique orientale est en fond sonore. Petit à petit, les corps se rapprochent jusqu’a resté sérés, presque trop, comme étouffés, agglutinés… Les gestes des bras sont au-dessus de la tête, les mains levées… la paume dressée ou le point serré… Ils semblent repoussés par une force invisible mais violente… Ils finissent par montrer leurs bras, leurs jambes, une partie du corps, celle qui aurait reçu des coups, où il y aurait des traces. On ressent ce que l’on imagine être possible dans les manifestations de masse. Le ralenti des gestes est la source de la compréhension de la force de ce rejet. Les danseurs impriment dans notre propre corps cette sensation… On a même l’odeur des lacrimos, les larmes nous viennent, tout… C’est particulièrement puissant… Mithkal Alzghair donne une image à cette révolution en marche comme celle qu’on peut voir ici en France avec les gilets jaunes mais partout dans le monde et sans doute dans son propre pays, la Syrie.

Tendre colosse.

L’autre excellente surprise de ce nouveau programme est l’extrait de L’écho d’un infini que propose Sylvère Lamotte comme un avant-goût de sa future création… Et c’est sublime. Il commence dans le silence – tout relatif ! – de la cour de La parenthèse. Il entre, se couche au sol. Il est rejoint par une femme qui n’est autre de Brigitte Asselineau, importante danseuse et chorégraphe de la danse contemporaine française des années 80… Et ce géant qu’est Sylvère Lamotte – et qui a eu l’idée géniale de convier Brigitte Asselineau ici mais dans la future pièces Paco Decina et d’autres danseurs de tous âges – soulève sa partenaire avec une délicatesse stupéfiante. La danse qu’ils proposent est déliée, toute en apesanteur. Faite de torsions, de tensions partant du bras et les poussant dans l’air comme au sol ; ils offrent un pur moment de danse. Brigitte Asselineau, yeux fermés pose ses pas et bouge ses bras d’une façon si retenue que l’effet est sidérant, comme exécutés au ralenti. Sylvère Lamotte ne se satisfait pas de cette lenteur parfaitement maitrisée, il donne des accents de rapidité avec un coup de pied rapide dans l’air, un mouvement du buste assumé et vif… Les images convoquées sont toutes à l’inverse comme ce porté ou l’enfant semble porter la mère blottie dans le creux du coup de son partenaire qui effectue une rotation qui magnifie le geste… Vers la fin seulement, la musique surgie alors que jusqu’ici rien n’avait soutenu le mouvement. Telle une brindille dans les mains de ce géant, Brigitte Asselineau tourne, se laisse aller dans l’air comme lorsqu’on joue à l’avion avec un enfant… C’est d’une pureté à tirer des larmes. Il faut voir ça et la pièce en entier…

Danse politique.

On a plaisir à retrouver, dans sa quasi maison, le chorégraphe adepte de la couleur jaune Michaël Phelippeau qui s’était fait remarquer ici même au Festival d’Avignon dès 2011 avec Bi-portrait Yves C. avec un ensemble de danse traditionnelle bretonne dont il faisait redécouvrir la force. Ici, il s’agit de LOU. Et Lou n’est pas n’importe qui. Elle est la fille de Béatrice Massin, l’une des plus grande spécialiste de danse baroque en France… et là, je vous vois, vous vous dites : ouh la ! ça va sentir la poussière et le pompon… C’est sans compter avec l’intelligence – bluffante, il faut le dire – de Michaël Phelippeau qui, mine de rien, nous apporte en trente minutes toute l’essence et le rôle de cette danse, y compris en nous en montrant toute sa modernité…

Lou rentre sur scène comme si elle arrivait de dehors, comme pour rentrer répéter son spectacle. Elle a un sac noir, et porte un pantalon de la même couleur et un sweet à capuche orange au dos duquel il est inscrit LOU. Elle prend une feuille – jaune, évidemment – sur laquelle, de notre place on distingue des signes, des traits… Elle prend un feutre fluo et trace au sol des axes qu’elle complète par des signes : sorte de grandes parenthèses, des accents et autres… Puis commence la profonde déconstruction de l’ensemble… Une fois sans musique, une fois avec la musique venant du portable, une fois sortant des enceintes… Ce sont Les folies d’Espagne de Lully qu’on entend. La danse qui est présentée date de 1700 ; en voix off ou en direct, Lou nous donne tout un tas d’indications. Fidèle à son principe de « portrait » humain et humanisé, Michael Phelippeau nous apporte des détails sur Lou. L’essentiel aussi, c’est qu’il nous donne à comprendre ce qu’à l’époque, représentait cette danse : un acte politique… et comme le dit Lou, comme Louis XIV était doué en danse et sans doute l’un des meilleurs de sa cour à l’époque, c’est à travers elle qu’il souhaita qu’on imagina la France… Pas grave, poignets dessus, pas de bourrée, opposition, emboité, poignets dessous, tout ceci restera et sera prodigué dans l’Europe entière. Avec LOU, Michaël Phelippeau rend service à la danse, rend service à cette danse – et à tout le travail de Béatrice Massin – en offrant une nouvelle vision, trouvant les chemins pour remettre les enjeux sur le dessus, sans négliger l’humain : Lou qui danse… c’est subtil, intelligent, utile…

Beau programme donc qui montre la danse sous son meilleur jour… ne le ratez pas.

Emmanuel Serafini

Image : We are not going back de Mithkal Alzghair

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