CRITIQUE. « THE ELEPHANT MAN » – De Anne Sylvain, librement inspirée de la vie de Joseph Merrick – Mise en scène : Michel Kacenelenbogen – Théâtre LE PUBLIC – Grande Salle -, Bruxelles – jusqu’au 22/06/2019.
L’Histoire : Nous sommes à Londres, en 1884, en pleine ère victorienne. Joseph Merrick n’est pas un homme comme les autres. En tout cas en apparence, ou plutôt pour celles et ceux qui le considèrent comme un monstre de par sa différence : sa difformité extrême. Joseph est atteint d’une maladie génétique provoquant de graves déformations du visage et du corps. Très jeune il perd sa mère et, plus tard, expulsé du domicile de son père, sa belle-mère ne supportant pas l’enfant. Contraint à devoir gagner sa vie à 12 ans, il se produit en tant que « phénomène de foire ». Il devient celui que l’on surnomme « Elephant Man ». Sa laideur effraie autant qu’il amuse le public, friand de ce genre de divertissement. Joseph fait bien l’affaire de Tom Norman, le montreur de foire sans scrupule, qui ne se gêne pas pour le maltraiter. C’est alors qu’il va croiser la route du chirurgien Frederick Trèves. Ce dernier se passionne pour cet être hors du commun du point de vue médical. Il va l’examiner et décide de le garder dans une chambre à part de l’Hôpital où il exerce. Il va charger l’infirmière Eva Lückes, de s’occuper exclusivement de lui.
Si l’aspect de Joseph Merrick est repoussant aux premiers abords, il n’en va pas de même pour sa personnalité. Très intelligent, sensible, généreux, il se passionne pour la lecture : William Shakespeare, Victor Hugo, et bien d‘autres. Il reçoit de nombreuses visites et tout autant de cadeaux parfois bien inutiles et inappropriés. Il rencontre Ellen, l’actrice ; Amélia, la prostituée ; et même la Reine Victoria !
Mais qu’en est-il de tout ce petit monde ? Comment sera perçu Merrick ? Tel un monstre ou tel un Homme, un vrai, avec des sentiments réels et profonds ? Quelle est la raison qui pousse ces femmes et ces hommes à rencontrer, à voir, à considérer ou à traiter Joseph comme un monstre ? Est-ce un voyeurisme déplacé, une façon de se distinguer, d’oublier qui l’on est vraiment, de se déculpabiliser, d’échapper à son quotidien, de montrer son vrai visage, de profiter de la situation, ou d’apporter une sorte d’excitation à sa propre vie, d’exulter son égo ? Qui est le monstre au fond ? Qu’est-ce être un véritable monstre ? L’apparence à elle seule, justifie-t-elle cette considération pour un être ? N’est-ce pas aussi question de conscience ou de moralité ? Au fond, n’est-ce pas la peur de la différence ? Et l’amour dans tout cela ? Miroir, miroir, qui sommes-nous vraiment?
L’autrice et metteure en scène : « Elephant Man » est la première pièce de l’autrice Anne Sylvain. Pour cette comédie dramatique elle s’inspire de la vie de Joseph Merrick, surnommé « L’Homme Elephant ». Si les cinéphiles se souviendront de la version de David Lynch, Anne Sylvain donne à la pièce une touche particulière. Celle de la sensibilité, celle de l’interrogation sur la cruauté de l’être humain, de l’angoisse, du souvenir que peut provoquer dans la vie de tout un chacun une rencontre avec un homme tel que Merrick. Et pour cause, Anne Sylvain a vécu à l’âge de douze ans, une rencontre similaire. Ce souvenir est « revenu la hanter » en écrivant sa version d’Elephant Man (*).
Avec cette belle mise en scène, Michel Kacenelenbogen marque les esprits. Il crée une atmosphère victorienne bluffante, certes, mais qui ne laisse pas de doute sur cette question du rejet de la différence, très présente dans notre monde aujourd’hui. Ne fût-ce qu’à travers l’actualité, comme il le souligne d’ailleurs dans ses propos recueillis par le Théâtre Le Public « … nous sommes tous capables d’accepter des choses monstrueuses. Voyez l’élection de Trump : on est tous choqué, on s’offusque, mais au fond, on laisse faire après un moment, le monde entier a entériné la situation ». Avec un choix de casting judicieux, mais également une équipe incroyable tant pour la déco, que la scénographie, les costumes, le maquillage, les lumières, ou la musique, Kacenelenbogen parvient à faire ressortir de chaque personnage les bons et mauvais côtés, inclus ceux de Merrick. Merrick qui n’est, finalement, qu’un homme parmi les autres malgré son apparence.
À noter, une fois encore, l’excellente prestation d’Othmane Moumen dans le rôle d’Elephant Man. Sur scène, toutes et tous contribuent à faire de cette pièce une belle réussite.
Dans une ambiance sombre et mystérieuse digne de la vieille Angleterre, « The Elephant Man » : “Ma mère a trébuché et à manqué de se faire piétiner par un éléphant, d’où ma malformation ». Ainsi se crée la légende de « Elephant Man », par Joseph lui-même, qui attribue ses malformations à cet incident malheureux.
Julia Garlito Y Romo,
à Bruxelles
Comédiens : Bénédicte Chabot (Amélia, la prostituée), Yves Claessens (Tom Norman, le forain), Jo Deseure (Victoria, la Reine), Itsik Elbaz (Docteur Frederick Treves), Othmane Moumen (Joseph Merrick, alias Elephant Man), Ariane Rousseau (Ellen Terry, l’actrice) et Anne Sylvain (Eva Lückes, l’infirmière).
(*) Voir propos recueilli dans le programme du Théâtre Le Public