CRITIQUE. Trajal Harrell – « Dancer of the year » – KunstFestivalDesArts – Kanal-Centre Pompidou, Bruxelles – Du 10 au 19 mai 2019.
Aller à un spectacle de Trajal Harrell, danseur et chorégraphe américain, est un moment rempli d’émotion. Et le cadre de Kanal Pompidou est sans doute la meilleure manière de l’accueillir : Jean Stephan Kiss a réussi à créer, au milieu d’une grande salle de cet ancien garage transformé en musée, un cadre intime voire intimiste (comme dans un appartement avec des objets chers au chorégraphe). Les spectateurs ne découvrent le lieu que quelques minutes avant la performance et sont invités à prendre place soit un banc bas, soit parmi une multitude de coussins posés à même le sol. Le décor est planté.
Harrell arrive masqué et courbé, on le reconnait à peine : il s’assoit, enlève son masque (que signifie-t-il ?) et troque sa chaussette rouge et sa chaussette jaune contre d’autres de couleur identique. Il revêt ensuite une jupe, tout en ayant auparavant lancé trois t-shirts dans l’assistance. Il est seul, véritable homme-orchestre avec pour unique support musical son ordinateur portable, mais il occupe toute la scène avec majesté.
Il interprètera quatre morceaux, tous différents et dans lesquels il parvient à chaque fois à se métamorphoser. Ce qu’il y a de plus étonnant chez ce danseur qui s’est formé à la Trisha Brown School, c’est cette façon de faire corps avec la musique en jouant principalement avec ses bras et des expressions faciales intenses. On sera ému de ses pleurs durant sa troisième performance.
Acteur total, il vit la danse de l’intérieur et cette émotion qu’il transmet au public, tout comme cette confusion des genres : on ne sait plus, lorsqu’il danse, si c’est un homme ou une femme tant la grâce l’emporte dans ce corps pourtant mûr d’un homme de 46 ans, qui devient léger et quasi aérien lorsqu’il se met en mouvement. Il est d’ailleurs peut-être remarquable que le dernier morceau, le seul qu’il dansera en pantalon, (pour les autres il avait à chaque fois revêtu une jupe, une robe ou un tablier, est peut-être le plus sensuel et le plus féminin de tous. Et on le savoure d’autant plus qu’il nous avait prévenu juste avant de son épuisement : « I ‘ll probably will not be able to dance the last one –my favourite one- entirely ». Mais il l’a fait pour notre plus grand bonheur.
Colombe Warin
à Bruxelles
Chorégraphie, danse, création sonore et costumes : Trajal Harrell
Décor : Trajal Harrell and Jean Stephan Kiss
Dramaturgie : Sara Jansen
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Kanal – Centre Pompidou, ImPulsTanz, Schauspielhaus Bochum, Bit Teatergarasjen, Festival d’Automne à Paris, Lafayette Anticipations, Museum Ludwig, Dampfzentrale Bern
Photos Benniamin Boar Rhok