A LAUSANNE, YOANN BOURGEOIS EN PARFAITE SUSPENSION

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CRITIQUE. «Minuit» et «Prologue» de Yoann Bourgeois -au théâtre de Vidy-Lausanne du 2 au 4 mai 2019.

« J’ai pour passion la quête de ce point (… de suspension). Présent absolu. Endroit idéal – lorsque l’envol d’un corps atteint son apogée, et lorsque la chute n’a pas encore débuté. Absence de poids. Instant de tous les possibles. » Yoann Bourgeois

Tentatives d’approche d’un point de suspension. Voilà qui résume le travail intense de Yoann bourgeois et de son équipe autour de ce concept, une notion aussi intellectuelle que physique. «Ô temps suspends ton vol, et vous, heures propices! Suspendez votre cours». Hautement poétique également.

Tout corps lancé verticalement subit une force qui l’amène à un point zéro, le maintenant suspendu entre élévation et gravité pour une brève durée. L’éphémérité de cet instant sans loi est ce qui le rend précieux.

L’art de Yoann Bourgeois est de transmettre ce fugitif passage hors du temps. Ce qui est merveilleux, c’est que son approche, loin de demeurer uniquement circassienne, devient la métaphore de la vie. Lorsqu’il met en scène le couple, le point de suspension de la relation devient évident.

Le théâtre de Vidy a bien fait les choses. Ce n’est à pas moins de trois courtes pièces en libre accès (« Prologue »), un film, une exposition et une pièce théâtrale que le public est convié lors de ces trois jours thématiques.

L’exposition s’intitule «De l’autre côté» et invite aux racines de la création. Les croquis et maquettes, petits bijoux d’art plastique, déshabillent les performances. Les chutes de trois situations sont décortiquées en boucle sur écran. Certains dispositifs miniatures non encore réalisés côtoient une chaise grandeur réelle dont le dispositif «wakouwa» (qui s’effondre puis se recompose), dévoile le mécanisme sous-scénique. Les photos de la danseuse Marie Fonte en action dans la «Balance de lévité» illustre un prototype en réduction. Un globe transparent protège la constellation des mots-clés du projet: Objets-corps-motifs-forces-tentatives-lieux-etc.

Au Pavillon, deux pièces d’une quinzaine de minutes où j’ai retrouvé l’émotion ressentie lors de la précédente pièce de Yoann Bourgeois «Celui qui tombe». Elles mettent en scène deux couples. Cherchant un équilibre précaire sur les deux plateaux (mobile et tournant), l’un en paroles, l’autre s’envolant dans le chant poignant de Nina Simone, ils construisent une assise avec précaution, s’évitent du regard, se rencontrent, s’élancent ensemble, se séparent, racontant l’histoire de toutes les confluences amoureuses, avec une délicatesse et une maîtrise éblouissantes.

Une troisième pièce présentée en extérieur exprime ce moment de suspension en milieu aquatique, dans un cylindre transparent où «Ophélie» est déposée par un bras mécanique et flotte entre deux eaux, mythe incarné dansant l’onde au ralenti.

Je n’ai hélas pas assisté à la projection du film «Les Grands Fantômes».

La pièce «Minuit» dure 1h15 et présente un univers dont l’enjeu est une approche consistant à «désamorcer le temps». La musique formée de boucles de Laure Brisa et Philippe Glass, jouée en direct à la harpe, accompagne en cohérence harmonieuse les performances scéniques. On y voit danser la poupée vivante «culbuto», les prises de parole impossibles devant un micro inaccessible, les escaliers de la fugue/trampoline, la chaise wakouwa refusant son office, analogies de ces situations humaines de temps suspendu, de ces moments frappants, impression de chuter, de s’élever, de surmonter. Vaut-il mieux croire ou douter? Pour terminer sur la belle histoire contée d’un amour fou où chaque approche s’avère infructueuse, chaque tentative vaine, et surtout ignorée de la destinataire. Le point de suspension perpétuel?

Une manière de rétrospective du travail sur l’équilibre de Yoann Bourgeois, esthétiquement splendide. Il m’a manqué cependant un lien narratif prégnant. Le public était conquis et le triomphe total. Assister à une si complète démonstration de créations artistiques durant ces quelques heures? Une aubaine fabuleuse.

Culturieuse,
à Lausanne

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