CRITIQUE. « John » – Texte de Wajdi Mouawad, mise en scène Stanislas Nordey, avec Damien Gabriac et Julie Moreau. Du 8 au 19 avril 2019 Théâtre des quartiers d’Ivry puis en tournée 2019 2020 avec l’Institut Français – Paris dans le réseau des Instituts Français à l’étranger. Durée 1H.
Quel mot trouver pour expliquer l’inexplicable, pour hurler son mal, son envie d’en finir quand on est tout juste au début de la vie ? Existe-t-il réellement des mots justes pour cela ? Sujet tabou et difficile à aborder, le suicide adolescent, c’est tout le propos de « John », une des premières pièces de Wajdi Mouawad, écrite en 1997 qui n’a jamais été éditée. Le théâtre semble un magnifique espace pour sensibiliser, libérer la parole, ouvrir le débat sur ce sujet capital, deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans.
John, 16 ans, est décidé à mourir. Dans une ultime tentative, John cherche à s’expliquer, à se faire entendre, à donner du sens à ce geste terrible. Face caméra, il s’adresse aux siens, une dernière fois, pour leur cracher sa rage, ses doutes, sa souffrance, son impossibilité de vivre…
Stanislas Nordey s’empare de ce texte avec un parti pris scénique misant sur la sobriété, pour laisser toute sa place aux verbes de Wajdi Mouawad, pour donner toute sa résonnance au cri brut de cet adolescent. Le décor est des plus dépouillés. Une grande illustration « crayonnée » figure la chambre de John, complétée par une chaise, une commode, une table de chevet, une caméra et un poste stéréo. En guise d’univers sonore, une seule musique, s’échappera du petit poste stéréo. La mise en espace, elle aussi, est guidée par cette même recherche de simplicité.
Grâce à cette intelligente retenue scénique, les mots de Wajdi jaillissent crus, puissants, percutants, pour dire le mal de vivre, la détresse de cet adolescent. Le jeu de Damien Gabriac vient du ventre, des tripes parfois, pour donner corps à cette insupportable souffrance. Dans sa forme la plus brute, John hurle sa colère sur sa mère, « une crisse de vache » qui a « une brique à la place du cœur », sur son frère qui baise « sa blonde », sur la vie « qui mord » et l’empêche de se relever… John veut mourir. « John, qu’est-ce que tu veux qui meurt en toi ? ». John est effrayé de mourir comme de vivre mais est bien décidé à tuer toutes ses douleurs en lui. La corde est sa seule issue.
Les maux coulent à flots dans toute leur vérité et leur brutalité. Et pourtant, la langue québécoise de l’auteur ne nous parvient pas complètement, la détresse de ce jeune ne nous ébranle pas comme elle devrait. Le metteur en scène n’a pas choisi la version francisée du texte et c’est compréhensible, car la musicalité québécoise fait partie de la rythmique, de l’énergie de l’écriture de l’auteur. Mais un décalage se crée entre cette langue purement québécoise et la diction parfaitement française du comédien. Il y a comme une dissonance. L’adolescent nous dévoile sa part la plus intime dans une langue qui n’est pas la sienne. Une distance s’établit alors, entre nous et ce qui se vit sur scène. Se dresse comme un mur invisible, mur qui nous empêche d’être totalement sensibles à la violence de la situation. Troublante sensation que de se voir rester impassible à ce cri ultime… Cet effet ne semble pas avoir été voulu puisque tout s’accordait à nous placer seuls face à la détresse de cet adolescent.
Quant à l’épilogue qui donne la voix à la sœur de John, il peine à nous embarquer et conclure ce drame. Malgré la poésie que convoque l’auteur, malgré l’engagement de la comédienne, il y a comme quelque chose qui sonne faux, quelque chose de trop théâtral face à cette effroyable réalité…. Et c’est bien dommage !
Marie Velter
Photo Jean-Louis Fernandez