« CARTEL » : DANSE AVEC LES ANGES

CRITIQUE. Cartel / la Coma de et avec Michel Schweitzer, Jean Guizerix, Romain di, Fazio, Maël Iger, Dalila khatirz – Mise en scène Michel Schweitzer. Le 14 avril 2019 au Sterenn à Tregunc (Bretagne).

Lorsque Michel Schweitzer vient jouer un spectacle sur un territoire, il aime bien faire son marché sur place et flirter avec l’idée que ce spectacle est un objet artistique intégré dans les préoccupations du moment. C’est une façon de se servir du vivant, de ce qui existe.

Dans le souci de produire un show auto-suffisant sur le plan énergétique, il embauchera parmi les coureurs cyclistes des clubs locaux, trois compères pour pédaler dos aux spectateurs et ainsi alimenter en électricité, à la force de leur mollets, néons et plaques lumineuses montées sur de grands chevalets à roulettes. Celles-ci éclairent et encadrent le spectacle de leur présence silencieuse.

Le plateau est vide, au mur un défibrillateur. Devant les plaques lumineuses, apposée sur l’une d’entre elles, la radio du tendon déchiré de Cyril Atanasoff qui a déclaré forfait.

Il se joue là, comme au cirque, une partie dont l’issue n’est pas sans danger.

Sur scène les artistes dans leurs rôles : Jean Guizerix, danseur qui fut étoilé « en son temps », au beau visage de prince charmant un peu fatigué, le regard vif, le corps en miettes ; Romain di Fazio , jeune pousse montante de la danse, en pleine force et possession de ses muscles, os et tendons.

Dalila une voluptueuse et plantureuse chanteuse lyrique pleine d’humanité, et de chaleur. Maye, jolie jeune femme, énergique, actionne et positionne les éclairages, dirige commente, et Michel, en bon monsieur Loyal jauge, écoute, se pose en témoin des forces qu’il a lui même mises en présence.

Ce qui se joue la simplement, est d’abord l’histoire d’un parcours, d’une condition, d’une qualité. Celle de l’artiste chorégraphique d’excellence. Et aussi de l’artiste tout court. De sa solitude, de ses sacrifices, de ses doutes, de son endurance. De la fragilité et de l’éphémère de la condition humaine. Du temps qui passe et nous transforme. Et enfin de l’essence de la danse qui jamais ne disparaît dans les corps qu’elle a si profondément habités.

Sur la voix puissante et chaude de Dalila, on passe d’un récit à l’autre, d’une danse à l’autre, celle de Jean qui, revivant les bribes des grands rôles qui ont été créés pour lui, se jette dans un corps à corps avec lui même, s’élançant comme on se noie, tourbillonnant dans la jubilation et la générosité, la maîtrise visible d’un corps qui encore et toujours se surpasse. Et là, se dessine dans l’ombre, presque palpable dans l’éther, l’amplitude, la force et la grâce de l’étoile qu’en son temps il fut. Vision saisissante et fugitive, d’un saut dans le temps où l’évocation d’un geste est tellement contenue dans la pensée qu’il en devient palpable.

Moment fragile d’une rare beauté, devant l’émotion perceptible de la salle entière.

Puis la danse de Romain, charnelle juvénile, encore innocente, pleine de force et de questions. Il explore les confins du plateau dans une débauche de pliés, de ronds de jambes et de sauts, incarnant devant nous, maintenant, la puissance actuelle, concrète et déployée de la danse, sublimée par la dimension lyrique du chant magnifique de Dalila, sa présence ronde et goguenarde, son plaisir visible de jouer, d’être sur la scène.

On en aura compris sur la condition de l’artiste, ses sources de joie, ses desarrois, ses challenges, ses aventures, son devenir, bien plus que les mots ne peuvent le dire.

Toutes ces questions sur ce qui constitue un artiste, ce spectacle de Michel Schweitzer le pose dans une provocation tranquille, dans un constat impitoyable et lucide.

Ce spectacle ne s’était pas joué depuis deux ans, pour l’occasion, le plateau du Sterenn a Tregunc où il fut représenté dimanche 14 avril 2019, a été agrandi.
Le public a fait entre 20 et 30 kilomètres en moyenne pour venir y assister.

Claire Denieul

Images Frédéric Demesure / DR

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