CRITIQUE. « MÉDINA MÉRIKA » – Texte et mise en scène : Abdelwaheb Sefsaf – inspiré très librement du roman « Mon Nom est Rouge » de Orhan Pamuk – Mise en scène et dramaturgie : Marion Guerrero – Par la Compagnie Nomade in France – Théâtre des Martyrs à Bruxelles les 20 et 21/03/19 – durée 1h15
La Genèse : « Maintenant, je suis mon cadavre » (2), ainsi commence… l’histoire ! Ali est un jeune réalisateur fou de cinéma américain. Il vit au cœur de la Médina et son désir est de créer des œuvres modernes au sein du cinéma arabe. Tous ne comprennent pas son génie et cette passion qui lui coûtera d’ailleurs la vie. Il se retrouve dans le fond d’un puits. Et c’est à partir de ce trou sombre et froid, qu’il raconte au public son histoire : « Maintenant, je suis mon cadavre ». La belle Lila, son épouse, le cherche désespérément et demande à tout va si quelqu’un l’a vu. Elle est certaine que quelque chose de grave lui est arrivé. Mais personne ne la croit et même, se moque d’elle. Une histoire touchante, cruelle, dure et belle à la fois où un chien (celui du Borgne Ibrahim) portera un « regard ironique sur la société arabe ». Le chien, un animal détesté dans la tradition musulmane. Et puis il a une mangeuse de chat, Mali. Une voisine de Lila pour qui les rumeurs du quartier n’ont aucun secret. Le Maître, père de Lila, a enseigné l’art des techniques cinématographiques apprises en France, à Ali et Ibrahim. Un Imam, et la vieille Khadija, et puis un assassin. Qui sera cet assassin et pourquoi a-t-il tué Ali ? Vous le découvrirez en allant voir ce beau spectacle entre théâtre et comédie musicale.
Le texte / La scène : Musique et théâtre : une perspective qui attire. Abdelwaheb Sefsaf (3) : auteur / metteur en scène / compositeur / chanteur / musicien / comédien. Prix du 27ème Festival MOMIX 2018 (unanimité du jury), avec Médina Mérika (2014), c’est la première fois qu’Abdelwaheb Sefsaf monte un texte dont il est l’auteur, et lorsqu’on a eu le plaisir de voir ce spectacle, on dit : encore ! Et s’il s’inspire librement du roman d’Orhan Pamuk : « Mon Nom est Rouge » en l’adaptant à l’actualité du monde arabo-musulman, Abdelwaheb a surtout le désir de « faire entendre son point de vue singulier sur une tragédie au doux nom de « Printemps Arabe ». À travers cette performance artistique franchement réussie, Sefsaf ressent « l’urgence de témoigner que les contraires peuvent se rencontrer » et cette rencontre, justement, entre l’Orient et l’Occident » il l’expérimente en musique. De très beaux textes en arabe et en français, et parfois même, d’autres langues, que cet artiste Franco-Algérien met en scène avec Médina Mérika. Pourquoi « Médina » ? « Parce qu’il s’agit d’un lieu du rassemblement, de l’échange et du frottement contre l’altérité » nous explique Sefsaf, quel que soit le lieu : Bagdad, Beyrouth ou Alger (villes chantées dans le spectacle, d’ailleurs, agrémentées de belles images sur fond de cinéma). Pour lui, il s’agit « d’un même monde, fragmenté, un mélange de modernité et de carcan de la tradition ». La Médina : un lieu mixé entre « frustrations et exaltations », « d’échanges et de replis », « L’alpha et l’oméga de la société arabe ».
Et, quand est-il de Mérika ? Il s’agit de « la référence à l’Occident et au rapport ambivalent que l’Orient peut avoir avec lui » poursuit Abdelwaheb. Un mélange de « fascination et détestation ». C’est « l’Amérique, symbole de liberté dont on rejette les travers et la décadence », tout un paradoxe du « possible à l’impossible »!
C’est avec son complice Georges Baux que cet artiste (décidemment très prolifique, voir ci-dessous) compose les chansons du spectacle Médina Mérika, et fonde le groupe ALIGATOR : « world électro » aux influences de « Dead Can Dance » et « Nustrat Fateh Ali Khan ». Les CD de ce spectacle (mais également du prochain « Si Loin si Proche ») sont à écouter et réécouter sans aucun doute ! Des textes qui parlent d’amour et de haine, d’inégalités et de combats, d’anti-héros et d’espérance.
Les comédiens à la fois chanteurs vont endosser plusieurs personnages et déambuler sur une scène haute en couleurs. Des instruments particuliers et surprenants. Un mélange de culture qui joue avec les sens des spectateurs.
Si l’on peut regretter que les textes chantés en arabe (dont les mots sont directement liés au spectacle lui-même) ne soient pas « surtitrés », afin d’être accessibles à tout le public (chose qui sera bientôt mise en pratique a promis l’auteur) :
« Médina Mérika », est un spectacle qui mérite le détour, mêlant chansons et monologues sur un fond de décor vidéo et une musicalité exceptionnelle entre électronique et instruments traditionnels (3), une scénographie très intéressante tout en perspectives, une dose d’humour, très porté sur l’autocritique, une belle équipe artistique : J’y vais !
Le spectacle n’est malheureusement plus joué pour l’instant à Bruxelles, mais en tournée en France (voir dates ci-dessous).
Julia Garlito Y Romo
Distribution : Georges Baux (guitares, orgue) ; Marion Guerrero (comédienne/chanteuse) ; Nestor Kéa (programmations électroniques, clavier) ; Abdelwaheb Sefsaf (comédien / chanteur / musicien / metteur en scène / auteur) ; Toma Roche (comédien / chanteur)- Musique : Aligator (Baux / Sefsaf) / Scénographie : Pierre Heudorff / costumes : Ouria Dhmani-Khouli et les ateliers de la Comédie de Saint-Etienne / Photos et vidéos : Samir Hadjazi – Diffusion : Houria Djellalil. (Clin d’œil : Une pensée particulière et mes remerciements à Houria)./
(1) On ne demande qu’à découvrir : « Si Loin si Proche », créé en 2017 est le prochain spectacle de la Compagnie Nomade in France, mise en scène par Abdelwaheb Sefsaf en co avec Marion Guerrero et bien sûr en musique avec ALIGATOR. Il parle de la nostalgie et du mirage du retour au Bled. Un spectacle qui parlera certainement à toutes les communautés des pays du monde ayant émigré quelque part ailleurs et rêvant d’un retour aux sources et déchirés par leur pays d’accueil, devenu le leur. Il joue au Centre culturel Aragon à Oyonnax (01) le 4/06/19 ; au Théâtre Sarah Bernhardt à Goussainville (95) le 05/04/19.
(2) Phrase issu du livre d’Orhan Pamuk : « Mon Nom est Rouge »
(3) Abdelwaheb Sefsaf : Fondateur et directeur de la Compagnie Anonyme ; Se fait connaitre sur la scène musicale en 1999 en tant que leader du groupe « Dezoriental » « coup de cœur de la chanson française » de l’Académie Charles Cros en 2004. Pour la musique du spectacle « Casimir et Caroline », lui et son équipe (dont Georges Baux), reçoivent en 2003 le « Grand prix du Syndicat de la Critique » et seront nominés aux Molières pour « la meilleure composition de spectacle théâtral ». Un des coups de cœur du Festival d’Avignon 2011 le spectacle dont il coadapte le texte et compose les musiques avec Georges Baux : « Quand m’embrasseras-tu ? (Mahmoud Darwich / Claude Brozzoni). En 2010, il fonde la Cie Nomade in France avec pour mission : « un travail autour des écritures contemporaines et rencontre entre théâtre et musique ». Toujours avec Georges Baux, il crée le concert théâtral « Fantasia Orchestra » (2012-2013) et dirige le Théâtre de Roanne de 2012 à 2014. Nombreux autres spectacles : 2016 : « MILLE ET UNE », « MURS » et « SYMBIOSE ».
En Tournée en France : Théâtre de Cahors (46) le 10/04/19 à 10’00 et 20’30 / Théâtre Le Grant T à Nantes (44) les 27 et 28/05/19 (1)
Photo Samir Hadjazi