« QUI A TUE MON PERE ? », FACE A LA VIOLENCE SYMBOLIQUE

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CRITIQUE. « Qui a tué mon père » texte d’Edouard Louis, jeu et mise en scène de Stanislas Nordey du 12 mars au 3 avril 2019 au Théâtre de la Colline, Paris – du 13 au 15 mai 2019 au TNS, Strasbourg.

La salle est comble à la Colline, nous sommes nombreux à attendre impatiemment de voir le texte d’Edouard Louis porté sur scène par Stanislas Nordey, comédien, metteur en scène et directeur du TNS. Et les attentes seront comblées. Nous vivrons un beau moment de sensibilité et de sincérité.

Qui a tué mon père relate le retour d’Edouard Louis chez son père après plusieurs années d’absence. Ce qu’il voit en face de lui est un corps en souffrance, détruit par la violence sociale. Stanislas Nordey se met dans la peau d’Edouard Louis pour nous offrir une interprétation puissante. En partant d’un récit très intime, la pièce se déploie avec force pour relier le particulier à l’universel.

Le fils parle à son père, mais la communication s’avère difficile, ils se regardent peu. Le père est représenté par de nombreuses statues diffractées, occupant peu à peu ce grand espace vide. Le fils mêle souvenirs d’enfance et confessions intimes. Il confie sa souffrance face à l’absence du père, face aux injonctions à la masculinité, face à un entourage qui ne le comprend pas.
Comment être différent dans un environnement qui n’accepte pas la différence? Comment être sensible lorsqu’on est obligé de ne pas pleurer ? Comment aimer celui qu’on n’est pas sensé aimer ?

« Est-ce qu’il est normal d’avoir honte d’aimer ? » Edouard Louis, Qui a tué mon père, éditions du Seuil, 2018.

A un moment, Stanislas Nordey s’avance, un rideau boursouflé par un plastique noir s’abat derrière lui, le rythme s’accélère et là, face à nous, il nous livre la puissance de son jeu en racontant le « presque » meurtre de son père par son frère, provoqué indirectement par lui. Il nous tient en haleine dans cette montée en puissance. Puis, le rythme est à nouveau rompu pour retourner vers l’intime. Assis en fond de scène, il nous susurre dans le micro les émotions contradictoires qui l’habitent, la haine de son père qui se transforme finalement en amour. L’émotion est palpable. Les relations peuvent évoluer, les réconciliations sont possibles. Qui a tué mon père est un chant à la mémoire, à l’amour.

Enfin, la pièce s’ouvre vers un questionnement plus général sur la question politique, l’intime se lie à la politique. Edouard Louis montre avec sensibilité comment la souffrance d’un homme peut être relié à une violence sociale. Il porte sur scène la voix oubliée de ceux qu’on nomme « les fainéants ». Avec sa « littérature de la confrontation », Edouard Louis accuse tous les grands noms de la politique, tous ces « meurtriers » qu’on exempte de tout crime, alors que par des décisions politiques, ils envoient dans la misère des millions de personnes issues de milieu populaire si injustement dédaignées.

Après Retour à Reims du texte de Didier Eribon mis en scène par Thomas Ostermeier, Qui a tué mon père est un nouvel appel à l’urgence politique face à la violence symbolique, face à la violence des classes. Plus que jamais d’actualité avec les gilets jaunes.

Anouk Luthier

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