CRITIQUE. « Rétrospective » – De Bernard Cogniaux – Mise en scène : Pietro Pizzuti – Théâtre Le Public – Petite salle – Bruxelles – jusqu’au 27/04/2019 – durée 1h35.
La pièce : Un Centre ? non, deux ! Les genres ? Pas si éloignés l’un de l’autre : questions de société.
Un décor simple, épuré, blanc. Denis, sceptique, marche de long en large, en se demandant bien, s’il est à la bonne place. Que de choses ont changées, il peine à reconnaître l’endroit, et particulièrement sa maison familiale rachetée par la commune. Il cherche des points de repères. Lumineuse et pleine d’entrain, Shérine, la responsable du lieu, reçoit son ami avec une joie non dissimulée. Elle est heureuse de le revoir. Cette inauguration est son idée : l’inviter comme l’enfant du pays, en tant qu’artiste de renommée internationale dont le village n’est pas peu fier. Et quoi de mieux pour lancer une « rétrospective » du parcours artistique de Denis dans ce tout nouveau centre culturel ? N’a-t-il pas fait ses premiers pas de plasticien à l’école d’art du coin ? Et puis ça boostera l’économie de la commune (qui a, en effet, investi beaucoup dans ce nouveau projet de centre), relancera le tourisme, et pourquoi pas, motivera de futurs étudiants en art. Rien n’est laissé au hasard, Shérine engage un jeune étudiant en art, justement, l’enthousiaste Stéphane, pour aider Denis à monter l’exposition. Il travaillera en collaboration avec la régisseuse Anna. Anna qui n’a pas la langue dans sa poche et n’a que faire des caprices de l’artiste, son attention est plus portée sur l’aide et le soutien aux demandeurs d’asiles, dont le centre ne se trouve pas loin. Elle slame d’ailleurs tous les vendredis soir pour dénoncer les injustices et montrer son indignation.
Mais voilà, tout risque d’être chamboulé ! Non seulement Denis est rongé par les doutes et risque de tout annuler, mais des évènements tragiques en rapport avec le centre des demandeurs d’asile va retourner tout ce petit monde.
Qu’adviendra-t-il de l’exposition ? Quelles peuvent être les répercutions et comment convaincre Denis d’exposer ses œuvres comme prévu ? Quel est le lien entre les deux évènements et quelles sont les questions que l’on est immanquablement invité à se poser ? Quelle sera la fin de cette histoire qui ne manquera pas de vous surprendre ?
Pour le savoir, rendez-vous donc au Théâtre Le Public où la pièce se joue jusqu’au 27/04/19.
L’auteur : Bernard Cogniaux écrit, et lorsqu’il le fait, on accroche, c’est certain. Avec « Rétrospective » (sa treizième création portée en scène), cet artiste, avant tout comédien, metteur en scène à ses heures et …écrivain (ça vous l’avez compris), « rend hommage aux politiques culturelles intelligentes. En art, comme en politique, quand on y met de l’âme, tout va mieux » (propos recueillis par le Théâtre Le Public). Et de l’âme, Cogniaux en a mis dans ce texte intelligent, poétique, teinté d’humour. Il y parle d’ambivalence, en choisissant de mettre en scène un « artiste subventionné », avec le questionnement sur la valeur de l’art. Un sujet qu’il connaît bien, pour en être un lui-même. Et d’un autre côté les demandeurs d’asile, et la politique d’accueil. Un lien ? les besoins vitaux de notre société, l’envie de « mettre en évidence la composante macro-politique », ainsi que la question économique, pas des moindre. Pour se faire, Bernard s’est inspiré d’une situation vécue à Arlon où un centre culturel très actif et un centre d’accueil très dynamique, nous dit-il, ont trouvé un mode de fonctionnement non seulement en se côtoyant mais en cohabitant. Preuve de tous les possibles et exemple évident que tout est lié et compatible pourvu qu’on y mette de l’envie, de « l’âme », de l’empathie et surtout de la culture ! Pour en parler, il choisit, entre autre, les slams. Avec cette narration scandée et rythmée en toute liberté, il attire l’attention du public, tout à l’écoute du texte engagé, mais pas seulement.
Le mélange de culture est la couleur de la vie, alors, pourquoi s’en priver ? Qui veut vivre sans culture ? Tout est culture, et, s’y intéresser de plus près, dans tous les sens du terme et des diversités à l’infini, rend le monde plus en adéquation avec le partage et l’amour de l’autre.
La mise en scène : Et pour la deuxième fois, Bernard Cogniaux, choisit de laisser « l’entière élaboration de la mise en scène dans les mains d’un autre » et pour « Rétrospective », il fait appel à Pietro Pizzuti ! Un choix que l’on ne peut qu’apprécier, tant le talent de cet artiste aux multiples disciplines ne nous est pas inconnu (metteur en scène, acteur, danseur, conseiller-artistique, enseignant, auteur, etc. ; études artistiques bien sûr, mais également en sociologie, plusieurs prix à son actif). Dynamique, pétillant, vif, drôle et intelligent, Pizzuti affectionne particulièrement les sujets sur les problématiques sociales et c’est tout naturellement qu’il accepte la proposition de Cogniaux, dont la force du texte le touche de par « sa pertinence et sa finesse » sur les questions fondamentales de l’art, « l’art dans tous ses états ». Et pour se faire, il fait mouche avec un beau casting et une belle complicité (dont L. Capelluto et S. Laroche qu’il connaît bien pour avoir, notamment, déjà travaillé avec eux en plus d’être amis) :
Les quatre comédiens : Laurent Capelluto (Denis) ; Jonas Claessens (Stéphane) ; Sarah Joseph (Anna) et Sandrine Laroche (Shérine).
Joli parcours pour ses acteurs, avec une liste trop longue pour tout citer, mais en ce qui concerne « Rétrospective », on peut dire ceci : très à l’aise Sarah Joseph dans son rôle de rebelle avec son caractère bien trempé, décidée à défendre les demandeurs d’asile et combattre l’injustice ; rafraîchissant et très convainquant le jeune Jonas Claessens endossant l’étudiant serviable, admiratif de l’artiste Denis, mais aussi très sensible à la même cause défendue par Anna. Une Sandrine Laroche, drôle et touchante à la fois avec son personnage Shérine, responsable du Centre culturel. Remarquable Laurent Capelluto ! On y croit à ce plasticien de renommée internationale, Denis, perdu dans ses doutes et ses remises en question sur le sens de son art et surtout de sa présence dans ce lieu du passé. Convainquant, au point que le public réagit à ses remarques, ses changements d’humeur, le regard qu’il pose sur les autres. Il habite ce personnage avec un naturel bluffant. Très fort ! Capelluto, un acteur à suivre très certainement. Vivement son prochain spectacle.
En attendant, « RÉTROSPECTIVE », une histoire sérieuse teintée d’humour, une pièce qui relève le débat : à découvrir !
Julia Garlito Y Romo
Assistante à la mise en scène : Lisa Cogniaux / Scénographie : Anne Guilleray / Lumière : Reynaldo Rampessad / Costumes : Béa Pendesini / Coach et chorégraphie : Kambod Jashami / Régie : Géoffray Leeman
Image Andrea Messana