CRITIQUE. «Cécile» de Marion Duval, avec Cécile Laporte dans son propre rôle – Du 20 au 31 mars à l’Arsenic (Centre d’art scénique contemporain), Lausanne – Dans le cadre du Festival Programme Commun – puis du 14 au 19 mai 2019, au Théâtre Saint-Gervais, Genève .
Sur la scène nue de l’Arsenic rétrécie par un grand écran, au premier abord elle ne paie pas de mine, Cécile. Une grande fille toute simple, juchée sur un tabouret de bar, queue de cheval et vêtements jeans.
En une quinzaine de sujets, autant de paraboles, Cécile va retracer sa singulière trajectoire. Guidée par les têtes de chapitres tour à tour projetées à l’écran sous forme d’une projection 3D, elle se livre sans fard et sans limite. Trois heures de spectacle où son monologue accompagne le public dans la profusion des expériences qui ont jalonné sa vie. Prenant le spectateur à témoin, comme seule avec chacun d’entre nous, elle plonge dans le récit comme une athlète dans le stade. Ou le taureau dans l’arène?
Du balancement brutal qu’elle adoptait pour s’endormir étant petite, jusqu’à ses engagements militants pour la ZAD, c’est toujours avec fougue qu’elle se jette dans les projets. Son indomptable énergie, toujours dirigée vers un objectif altruiste, l’entraîne à côtoyer le monde hospitalier comme celui du porno. Elle est clown au service d’oncologie et se découvre femme fontaine lors de sa contribution à un site porno-éco-activiste (!). Elle organise un séjour dyonisiaque avec des handicapés et propose une comédie musicale avec les résidents d’un hôpital psychiatrique.
Sauver les gens de l’enfermement que leur impose leur situation est son credo.
Du récit intimiste, on transite par la théâtralisation. Marion Duval a ainsi concocté quelques scènes déjantées. La manifestation du ZAD et la scène d’orgie pornographique, habilement enchaînées l’une à l’autre, est une belle réussite plastique, suggestive et puissante. La mise en scène de la comédie musicale rêvée par Cécile et qui se termine en crucifixion sur l’autel de la psychiatrie, véritablement chantée et dansée, est elle aussi un moment épatant.
Lors de ses improvisations oratoires, Cécile prend la liberté d’aborder les chapitres de sa vie selon le ressenti de l’instant. Ce qui est la moindre des choses pour un partage aussi intime et intense. Son émotion transperce lorsqu’elle évoque ses morts, son statut de mère ou l’amour ambivalent qu’elle a pour son père. Sa quête perpétuelle des liens qui la relie à l’humain, à la vie, aux marginaux, en fait une messagère mystique, une figure exaltée d’archange féminin. Sa prestation même, elle l’interroge: «Suis-je en train de répondre à une image que l’on a de moi?». Elle est si forte et fragile à la fois, va-t-elle tenir une telle magnitude encore cinq représentations?
On a senti l’épuisement d’une fin de combat. En peignoir, telle une boxeuse, elle nous invite hors du ring, dans le sombre couloir du théâtre et là, elle baisse enfin les bras et quitte ses gants. Sur la scène apparaissent alors ses immenses mains, symboles d’’accueil et d’action, et une tête gigantesque dont le regard exorbité projette le feu sacré du coeur de Cécile.
Si, comme le dit Marion Duval en préambule, les gens fleurissent autour d’elle, c’est tout simplement parce que Cécile ose dispenser la fleur de sa peau.
Culturieuse,
à Lausanne