CRITIQUE. « L’ABATTAGE RITUEL DE GORGE MASTROMAS », de Dennis Kelly ; mise en scène : Jasmina Douieb ; avec Yoann Blanc (*) – Théâtre de Poche à Bruxelles jusqu’au 6 avril 2019.
« Prends et mens sans regret ni scrupule » : rire ou pleurer ?
Lui ? C’est Gorges. Un enfant désiré ? Qui sait ? Il n’en reste pas moins qu’il est sage. Plutôt effacé même. Un peu gauche parfois. Gorges à un ami : Paul. C’est son meilleur ami d’ailleurs, et il l’admire. Paul a du succès auprès des filles ; tout semble lui réussir. Tout… jusqu’au jour où, en grandissant, il se transforme en un être qui n’a plus la place enviée dans les yeux des autres. Bousculé, piétiné, humilié il sera défendu par Gorges. Le seul à s’intéresser encore à lui… Mastromas a eu ce courage, mais va-t-il le regretter ? Adolescent, il est toujours aussi aimable, prévenant et gentil. Il découvre à ses dépens que ses « qualités » ne contribuent pas à le rendre moins transparent qu’il ne l’est et arrive à l’âge adulte tout aussi effacé. C’est alors qu’une occasion va s’offrir à lui : la ruine de son employeur va le propulser dans un monde de requins et de vainqueurs. L’élève deviendra le maître absolu. Un être sans scrupules ni remords, un menteur invétéré, sans pitié, sans amour, cynique et corrompu. Ce qu’il veut, il le prend. Femmes, argent, biens, tout. L’empire qu’il va bâtir suivra trois « règles d’or »…
Mais peut-on piétiner la morale à tout va sans conséquences ? Peut-on devenir réellement un être abject sans aucune sensibilité ni compassion ? Jusqu’où le maléfique pousse ses frontières ? Est-ce un passage sans fin ? Peut-on en sortir indemne ? Pourquoi et comment devient-on un « salaud » ? Jusqu’où est-il capable d’aller pour protéger son empire ? Qu’adviendra-t-il de Gorges Mastromas ? Que veut dire « l’abattage du rituel ? Pour découvrir sa destinée : Le Poche vous présente ce spectacle jusqu’au 6 avril prochain.
l’Auteur : Acteur, scénariste et dramaturge, Dennis Kelly à l’art de marquer les esprits. Ce quadragénaire britannique a plus d’une corde à son arc, et on aime (**) ! Avec cette œuvre (parmi tant d’autres) écrite en 2013 où le mal écrase la morale de tout son poids, il décrit avec un réalisme sidérant les « règles d’or » pour bâtir un empire en toute impunité à base de mensonges, en s’appropriant absolument tout par le simple fait de le vouloir, sans aucun scrupule, ni même un seul regret, peu importe les conséquences. Il s’agit évidemment du personnage maléfique qu’il a créé, l’anti-héros : Gorge Mastromas. Le néo-libéralisme tout puissant : ambiance moderne où le mal prend bien trop souvent le dessus sur le bien. « L’abattage rituel de Gorge Mastromas » prend aux tripes et s’attaque à nos consciences, nous ramène vers l’impuissance face à de telles attitudes ; la domination passe par la possession de l’argent et s’abat sur les faibles tel un glas, quitte à verser le sang. Comment, en effet, rivaliser lorsque tout s’achète, aussi bien les silences que les actes ? Quel peut-être l’origine du mal ? Naît-on mauvais ou le devient-on ? Si l’on le devient, pourquoi ? D’où provient le déclenchement qui mène vers le fond des ténèbres ? N’avons-nous pas nous-mêmes été les bourreaux des uns ou les victimes des autres ? Y a-t-il de la place pour le bon, le bien, l’altruisme ?
La Mise en scène : Autant de questions que se pose également l’excellente Jasmina Douieb qui signe, une nouvelle fois, une mise en scène bluffante. On adore ! Metteuse en scène, actrice (sur scène, comme sur petit écran (la Trêve), fondatrice de la Cie “Entre Chien et Loup” (2005), nombreux prix à son actif, Jasmine n’en finit pas de nous épater. Souvenez-vous (pour n’en citer qu’une seule, tant la liste est longue) de sa mise en scène (où elle joue d’ailleurs aussi) pour Moutoufs (voir critique BDO Tribune https://lebruitduofftribune.com/tag/moutoufs-theatre-le-public-bruxelles/).
Dennis Kelly est un des auteurs de prédilection pour cette artiste belge qui le connaît bien. Pour « L’Abattage rituel de G.M. » elle choisit de créer un « espace froid et mécanique », un cadre qui rappelle « un abattoir, un espace industriel » ; une façon « d’évoquer l’environnement mental de G. M. ». Un espace « déshumanisé et clos » poursuit Jasmine Douieb, interviewée par le Poche. Elle fait évoluer sur scène les cinq autres comédien(nes) (**) (toutes et tous aussi excellents les un(e)s que les autres), vêtu(e)s de blouses blanches, tels des scientifiques. Ils vont, en effet, décortiquer la vie de Gorges en la racontant au public, le prenant presque à partie, en leur posant les questions sur le choix du bien et du mal. L’effet est garanti, le temps passe sans que l’on s’en aperçoive, toute ouïe et captivé par le déroulement de l’histoire.
Avec un casting de choix, oh que oui, impossible de ne pas remarquer le talentueux et éblouissant Yoann Blanc (La Trêve (série) ; récemment sur scène dans « Musica II (voir critique BDO-T https://lebruitduoff.com/tag/la-musica-deuxieme-avignon-off/ et sur BB https://lebruitdebruxelles.com/2019/02/08/musica-ii-une-sublime-adatation-de-marguerite-duras/), etc.). Il est au centre de l’histoire. Il revêt les habits de Mastromas, en interprétant le personnage plus vrai que nature. Génialement diabolique !
Noir et drôle à la fois : «L’ABATTAGE RITUEL DE GORGE MASTROMAS”, à voir sans hésitation ! J’y vais !
Julia Garlito Y Romo
(*) Comédien(ne)s à suivre sans aucun doute ! : France Bastoen ; François Sikivie ; Yoann Blanc ; Stephane Fenocchi Valérie Lemaitre ; Manoël Dupont.
Très intéressante : la scénographie de Charly Kleinermann et Thibault Decoster
(**) Voir, entre autre, articles du BDO sur le même auteur Kelly : « Après la fin » critique d’Aurélie Gay (https://lebruitduofftribune.com/2019/01/21/apres-la-fin-huis-clos-angoissant/) et « Love & Money » critique de Julia Garlito y Romo (https://lebruitduofftribune.com/2018/05/03/love-money-bouscules-le-mot-est-faible/).