« FANNY ET ALEXANDRE », LE FASCINANT MANIFESTE THEÂTRAL DE JULIE DELIQUET

CRITIQUE. « FANNY ET ALEXANDRE » – d’Ingmar Bergman – mise en scène de Julie Deliquet – avec Denis Podalydès – Du 9 février au 16 juin 2019 au Théâtre Richelieu, Comédie Française, Paris – Durée 2H45 avec entracte.

Le fascinant et émouvant manifeste sur le théâtre de Julie Deliquet

Et si dans la vie, la vraie, il était possible de faire tomber le rideau pour couper court aux épisodes douloureux ? Et si dans la vie, la vraie, il était possible de se libérer de l’emprise d’un tyran en changeant de décor, simplement ? Et si le théâtre finalement, c’était la vie ?

Par sa belle adaptation du film/roman/série d’Ingmar Bergman, Julie Deliquet nous plonge dans un troublant et vibrant jeu de miroir entre fiction et réalité pour mieux explorer l’étroite relation qu’il existe entre ce « petit monde qu’est le théâtre » et le « grand monde extérieur ». Denis Podalydès, le comédien, à moins que ce ne soit Oscar, le personnage, ouvre la pièce par ces mots…« Dehors, il y a le monde, et il arrive que notre petit monde du théâtre parvienne à refléter ce monde, permette de mieux le comprendre… et parfois, aussi, d’en oublier la dureté. » Il a tout dit !

Première partie, le rideau se lève et dévoile le plateau mis à nu du Français, nous sommes au théâtre, dans un théâtre, celui de la famille Ekdahl, comédiens de mère en fils. Et pourtant, c’est la vie qui surgit. La famille investit la scène, les coulisses, la salle, les couloirs pour célébrer le théâtre. C’est Noël, le temps est aux rires, à la joie, aux retrouvailles, aux doutes, à l’introspection et aux disputes aussi. La vie sous toutes ses couleurs. Le commencement est festif et joyeux autour d’Oscar et Émilie, maîtres des lieux, père et mère de Fanny et d’Alexandre. Le propos se densifie progressivement. Des joies viennent les questionnements sur l’art dramatique, sur les relations amoureuses et familiales et sur les états d’âme de chacun. Le rideau tombe enfin, sur une issue fatale, la mort d’Oscar. Saisissant moment où le public, le vrai, se lève, s’étire, discute… c’est l’entracte, alors que des cris et des pleurs se font encore entendre derrière le rideau… De quel côté est le vrai, le faux ?

Deuxième partie, une page se tourne, Émilie décide de quitter le théâtre, et choisit la vie. Elle s’installe, gonflée d’espoir, avec ses deux enfants chez son nouvel époux l’évêque Edvrad Vergerus, mais tous trois vont vite être rattrapés par une terrible réalité. Nous sommes dans la vie et pourtant, c’est la force dramaturgique qui s’impose ici. Le décor se fait plus présent, l’espace est restreint. Nous basculons dans un effroyable huis clos. L’évêque révèle sa vraie nature : perfide, sadique, perverse. Se déroule devant nos yeux une insoutenable réalité qui n’est supportable que parce que nous savons que nous sommes au théâtre. À moins que ce ne soit le théâtre qui nous aide à supporter la vie ?

Julie Deliquet, avec une extrême habileté et sensibilité, reste constamment sur le fil, en équilibre, entre vrai et faux-semblant. Elle s’amuse à brouiller les pistes, joue de cette ambivalence avec les comédiens, guidés tantôt par le texte, tantôt par l’improvisation, entrant et sortant avec virtuosité de leur rôle, pour venir nous troubler, nous questionner. Nous ne savons plus vraiment si c’est le personnage ou le comédien, le vrai, qui parle, si la parole est spontanée ou en appui du texte d’origine… Mais qu’importe, la vie est palpable, le théâtre aussi. Et l’alchimie qui se produit est fascinante.

Cette pièce, grâce à l’engagement artistique de cette metteuse en scène à l’approche si singulière et de cette éblouissante troupe du Français, se pose comme un émouvant manifeste sur le théâtre, comme une déclaration. Rares sont, pour moi, les metteurs en scène qui réussissent à capter aussi bien l’intime au théâtre. Rares sont ceux qui réussissent, à porter les comédiens aussi haut, à les galvaniser, pour leur permettre, en habitant totalement leur personnage, de nous offrir une si grande part d’eux-mêmes. Et avec la talentueuse troupe du français (impossible de n’en citer que quelques-uns, il faudrait les citer tous), ce qui en ressort est bouleversant de vérité.

Rares sont les pièces qui nous font autant ressentir le présent, l’instant unique de la représentation. Rares sont les pièces qui touchent autant au cœur, au corps et à l’âme pour finir par résonner intimement en nous. C’est pour moi dans ces instants suspendus que le théâtre prend tout son sens. Car sans vie, il n’y a pas de théâtre ! Je me confonds en compliments car oui, Julie, c’est à mon tour de vous faire ma déclaration pour vous dire combien j’admire votre travail. À ne pas manquer !

Marie Velter

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