CRITIQUE. « RAVACHOL » (*), Écriture et mise en scène : Axel Cornil – Théâtre 140 (Le Rideau de Bruxelles) – Avenue Plasky 140 – 1030 Bruxelles – Jusqu’au 2 mars 2019 à 20’30 (sauf le mardi 26 à 14’00 et à 20’30 et le mercredi 27 à 19’30).
Même pas peur ! Un Ravachol contemporain, ou pas tant que ça ?
François, alias Ravachol, (Pierre Verplancken, très à l’aise dans ce rôle) est révolté. Sa mère, Marie (Adrien Drumel, épatant) a beau essayer de le remettre sur les rails, voire de lui faire des reproches ou des remontrances (non sans humour et avec l’accent du borinage), il reste sur ses positions, écoute d’une oreille, ou revendique les raisons de ses actes, se rebelle contre l’injustice. Qui aime vivre dans la pauvreté, la misère ? S’il ne fait rien, avec quoi ils survivront ? Entre sa fille « indisciplinée » (Héloïse Jadoul) et son fils, Marie a de quoi s’énerver.
Qu’à cela ne tienne, Ravachol, avec l’aide de son meilleur pote (Gwendoline Gauthier) va commettre plusieurs délits allant du vol, au crime, et d’autres du genre, ou pire… Il passe la majeure partie de son temps avec sa bande de copains, « des sales gosses ».
Traîné devant la cour, François Koënigstein n’en reconnaît pas l’autorité, le dira haut et fort et prendra seul sa défense. Quelle sera l’issue de cette histoire ? Que va-t-Il advenir de Ravachol ? Rendez-vous au Théâtre 140 !
Dans un décor qui se veut « froid » et une scénographie « brute », entre tringles (les acteurs se changent de costumes devant les spectateurs), des chaises et des tabourets déplacés ou balancés selon la situation, les quatre comédiens qui n’endossent pas moins de 15 personnages à eux seuls, vont évoluer sur la scène avec un naturel étonnant. Parfois une femme jouée par un homme et le contraire. Rien n’est établi. Pas mal !
Mise en scène / écriture : Auteur de « Magnifico » (2012) ; « J’ai enterré mon frère pour danser sur sa tombe » (2013) « Si je crève ce sera d’amour » (2015) ; etc., Axel Cornil a déjà un joli parcours dans l’écriture avec des titres ont ne peut plus accrocheurs. Et l’idée de Ravachol ? Tout simplement en se penchant, nous dit-il, sur une expression de sa région, dans le Borinage wallon: « Qué Ravachol es’ti là ! ». Utilisée pour « parler de mecs qu’on ne comprend pas et qui ont l’air d’en avoir rien à foutre de rien » nous explique Axel Cornil. L’expression fait référence à un personnage ayant existé au XIXe siècle : un anarchiste français : François Claudius Koënigstein, dit Ravachol ! Ce dernier (dont la presse s’emparera à grands échos en 1892, et que certains considèreront comme un héros), va inspirer Cornil (membre de MoDul (**) qui décide de l’adapter à sa sauce avec un humour « potache » et une certaine « insolence ».
Pour ce, il met en scène quatre acteurs pour quinze personnages. Le vocabulaire qu’il utilise n’y va pas de main morte et met l’accent sur « une jeunesse ballotée entre cynisme, désespoir et radicalisation ». La révolte de Ravachol, poseur de bombes et autres délits, très en colère avec la société. Une colère « pas si éloignée » de celle que ressent aujourd’hui l’auteur belge. Le monde lui paraît, en effet, « moche » et « cruel ». Dès lors, plutôt que de choisir le « grand banditisme » raconte-t-il, non sans ironie, il a préféré « fabriquer des spectacles et noircir du papier ». On ne peut que le féliciter et approuver son choix ! Cornil s’intéresse de près à « l’origine de la violence, de la radicalité politique et son rapport avec la société dont elle est issue ». Bien qu’il existe des similitudes entre l’époque de Ravachol et la nôtre et les raisons qui le pousse à commettre certains actes (dont l’assassinat de personnes « innocentes », notamment dans une série d’attentats), Cornil souligne qu’il n’en reste pas moins un personnage historique qu’il « tient à distance ». En effet, il ne se veut pas non plus « proche d’une actualité comme celle des attentats en Belgique ».
Un spectacle qui relance, sans nul doute, le débat sur la misère sociale et la violence de plus en plus présentes au quotidien, crise politique et économique, situations, malheureusement, loin d’être neuves. Une pièce avec des accents « un peu punk », ce qui n’est pas sans rappeler, justement, le groupe Punk « Bérurier Noir » qui cite dans une de leur chanson ce fameux personnage : « Salut toi l’Espagnol, Salut à toi le Ravachol ! ». Axel Cornil, un artiste à suivre, sans aucun doute.
Très remarqué(e) dans ce spectacle : Adrien Drumel : il endosse plusieurs rôles, excellent notamment, dans celui de la mère et de l’avocat. Et Gwendoline Gauthier, à la fois la juge et le meilleur pote de Ravachol, entre autres personnages. Géniale !
Certaines scènes sont un peu osées (en vogue dans les spectacles contemporains, qu’on peut ou ne pas aimer), une dose de politique et de suspens, de cruauté mais aussi d’humour, d’un vocabulaire jeune et engagé, en musique et décalé, on secoue le tout et on obtient :
« RAVACHOL » à découvrir jusqu’au 02/03/2019.
Julia Garlito Y Romo
Acteurs: Adrien Drumel; Gwendoline Gauthier; Heloïse Jadoul et Pierre Verplancken
Dramaturgie et production : Meryl Moens / Assistanat mise en scène : Olmo Missaglia / Soutien à la diffusion : Rose Alenne / Régie générale et scénographie : Marc Defrise assisté de Baptiste Leclere / Costumes : Charlotte Lippinois assistée de Rose Alenne / Lumières et régie : Emily Brassier / Coaching musical : Muriel Legrand et Ségolène Neyroud / Discussions et regards avisés : Valentin Demarcin et Corentin Lahouste / Régie plateau : Stanislas Drouart / Habilleuse : Nina Juncker
(*) « Ravachol » est paru chez Salles Gosses éditeur (2019) et illustré par Félix Laurent. Il est imprimé aux Ateliers du Toner, atelier coopératif d’autoédition. http://www.atelierstoner.lautre .net
(**) MoDul (structure pour artiste qui accompagne ses projets)
Création le 1er février 2019 à Mars Mons Arts de la Scène