CRITIQUE. « UN HOMME SI SIMPLE » – (roman publié en 1925) d’après l’écriture singulière de André Baillon – Mise en scène de Michel Bernard – Avec Angelo Bison, au Théâtre POEME 2 (*) – rue d’Écosse, 30 – 1060 Bruxelles – jusqu’au 03/03/2019 – Jeudis, Vendredis, Samedis à 20h / Dimanches à 16h00.
Jean Martin (Angelo Bison) est interné à l’asile psychiatrique de la Salpêtrière à Paris. Il est déchiré par ses démons. La culpabilité le ronge, mais également le questionnement. Il ne veut qu’écrire. Écrire en toute tranquillité, en toute simplicité, loin du bruit qui le dérange, le perturbe, l’obsède. Il glisse petit à petit vers la folie. Aussi douce soit-elle, il n’empêche qu’il confesse, petit à petit, ses névroses et ses angoisses au psychiatre. Il lui révèle, notamment, ses passions amoureuses pour deux femmes : Claire et Jeanne. L’une est son épouse, l’autre sa concubine. Il passera outre les tabous de l’époque, et la « spiritualité chrétienne », en s’installant avec les deux femmes dans la même maison. La vie n’est pas « simple » à trois et elle le deviendra encore moins lorsqu’il réalise son attirance irrésistible pour la fille de Claire, qu’il a élevée. Michette n’a que 16 ans, il est son beau-père et ses pulsions le déstabilisent. Lui qui voulait la simplicité, s’enfonce dans les contradictions, les complications d’une vie qu’il poursuit malgré lui. La Salpêtrière devient dès lors un lieu où se « réfugier », être seul, écrire, être un homme simple.
Qu’adviendra-t-il de Jean Martin dépressif et suicidaire ? Allez le découvrir : le Poème 2 vous attend !
L’auteur belge André Baillon, naît à Anvers en 1875. Orphelin assez jeune, de tendance suicidaire, éduqué en partie chez les Jésuites, il multipliera les métiers et se retrouvera de nombreuses fois dans des situations plutôt bizarres, avant de publier son premier livre à l’âge de 45 ans. Surnommé « le fou littéraire » ses œuvres ont cependant un certain succès à la critique. Sa vie compliquée le mènera jusqu’à l’hôpital psychiatrique. En sortant il publiera plusieurs livres, dont celui, autobiographique, « D’un homme si simple ». Il tombera amoureux d’une prostituée qui non seulement le délaissera mais le ruinera. Parmi ses autres livres ont retient : « Histoire d’une Marie », « En sabots », « Délires » ou encore « Le perce-oreille du Luxembourg ». Une œuvre, composée d’une vingtaine de livres, pourtant méconnue aujourd’hui. Si ce n’est déjà fait, après avoir vu le spectacle, pourquoi pas le redécouvrir ?
Le décor est aussi simple que l’homme qui raconte sur scène son histoire, une valise à la main. Tout se joue avec deux faisceaux de lumière qui se croisent parfois, formant tantôt une croix au sol, tantôt un chemin vers l’asile, ou encore, deux portes représentant les chambres des femmes du personnage. Un jeu de lumières qui rend la scène presque photographique, le public entre littéralement dans la mentalité du personnage. Pour l’adaptation des cinq confessions de Jean Martin au psychiatre de la Salpêtrière, basée sur le texte autobiographique de l’écrivain André Baillon, le dramaturge Michel Bernard nous laisse une nouvelle fois admiratifs. D’autant plus, qu’il choisit pour ce « seul en scène » l’excellent Angelo Bison. Angelo Bison qui a le don. Le don d’emmener le public à « comprendre » la folie, à entrer dans ce monde du mental perturbé, à travers son regard, sa gestuelle et sa voix. On se souvient, en effet, de ses performances dans « L’avenir dure longtemps » et « Non rééducable » (voir critiques du BDO Tribune). Deux spectacles également mis en scène par son complice Michel Bernard. Bison et Bernard deux artistes contemporains au parcours impressionnant. On aime, évidemment.
Angelo Bison c’est aussi le personnage assassin pédophile dans « Ennemi Public 2 » qui sera diffusé le 10 mars sur la Une. En attendant, il sera possible de revoir la série 1 (histoire de se remettre dans le bain avant la deuxième partie) sur la Deux, depuis le 19/02. À noter également que « L’avenir dure longtemps » où Bison interprète le philosophe Althusser (assassin lui aussi, interné dans un hôpital psychiatrique) se jouera à nouveau en février 2020 au Théâtre Des martyrs à Bruxelles.
« L’écriture singulière de Baillon séduit, nous dit Michel Bernard, pour qui « les mots sont des icebergs vierges… mais le sous bassement est terriblement noir ! ».
« Un homme si simple » à voir assurément au Poème 2, jusqu’au 3/03/2019. J’y vais!
Julia Garlito Y Romo
Scénographie : Thomas Delord / Lumière : Michel Delvigne
(*) Un petit mot sur ce petit Théâtre littéraire étonnant qu’est le Poème 2. Créé en juin 1962, le Poème 2 se donne une grande « liberté de ton ». En effet, il « s’ouvre à l’exploration des genres » et porte à la scène des auteurs, romanciers, philosophes, poètes (et autres) avec, entre autre, cette spécificité qui le caractérise : les auteurs belges francophones vivants. Le Poème 2 aime « surprendre » mêlant poésie et politique, en passant par le classique à l’historique, mais pas uniquement, puisqu’il propose de nombreuses rencontres avec des écrivains, des philosophes et des poètes. Le Poème 2 n’a malheureusement plus de subsides et se débrouille comme il peut. D’où le mérite, et, qui plus est, une programmation que l’on ne demande qu’à découvrir !