CRITIQUE. Alexandra Bachzetsis, « Escape Act » – Danse-Performance – Du jeudi 14 au samedi 16 février 2019 au Centre Pompidou, Paris.
Le désir est une machine sociale qui nous produit comme sujet. Reprenant des idées de Deleuze et Guattari, Paul B. Preciado, philosophe queer espagnol considère que les êtres humains devraient être désidentifiés. Mais comment pourrait-on percevoir le corps de l’autre sans l’assigner à un genre, à un sexe, à une race, à une classe ? se demande Alexandra Bachzetsis, artiste, interprète et chorégraphe greco-suisse.
Voilà maintenant trois ans que Preciado et Bachzetsis collaborent sur des thématiques communes; pour cette pièce, Bachzetsis emprunte un extrait du poème Love is a drone de Preciado et signe une pièce visuelle originale prenant forme dans le mouvement des corps et des interactions entre ceux-ci. « Escape Act » – entre danse et performance – interroge sur les mécanismes du désir et la construction du corps dans notre société actuelle. L’artiste va puiser dans la pop culture inspirée de la génération youtube et de la scène voguing pour proposer une heure de créativité folle .
Des tableaux très esthétiques s’enchaînent ; du haut de ses talons aiguilles roses, une femme simule l’acte sexuel sur des matelas gonflables aux couleurs flashy, puis cinq corps unis par des jeans qui les relient entre eux s’enlacent et forment un amas de fluide et de désir. Avec humour quoique teinté d’une certaine vulnérabilité, quelques voix chantent les petits surnoms donnés à leur organe génital. Dans ses chorégraphies, l’artiste met en contradiction répétition et différence, normalisation et singularité. Tous les danseurs exécutent les mêmes gestes, les même attitudes jusqu’au point de rupture où l’on bascule dans la destruction du pré-établi, où toutes nos pré-conceptions sont mises en branle.
Le titre prend racine dans cette tendance actuelle de vouloir échapper à notre temps, à notre âge ; une fuite qui se traduit par une obsession pour la jeunesse éternelle, pour le culte du corps jeune parfait. « Escape act » offre aux spectateurs des moyens pour échapper aux normes du genre, pour échapper à l’enfermement de la binarité.
Avec ironie et poésie, Alexandra Bachzetsis s’attaque à la manière dont est représentée la réalité – questionnant la tension entre l’apparence et l’existence. L’artiste gréco-suisse apprécie mélanger les styles ; elle brouille les genres et montre leurs multiples interactions, que ce soit dans le genre artistique (art plastique, danse, performance ou théâtre) ou sexuel (masculin, féminin, drag, trans,…). Cette pièce est l’aboutissement d’une recherche plus large sur le rapport entre corps et objets et de construction de l’imaginaire et du désir.
Un beau spectacle visuel, des danseurs et danseuses doué-e-s, une pure heure de jouissance !
Anouk Luthier