« FESTEN », LE THEÂTRE MAGIQUE DE CYRIL TESTE

CRITIQUE. « Festen » de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov par Cyril Teste/Collectif MxM du 13 au 16 février 2019 au Théâtre de Vidy-Lausanne, puis en France.

Les sons et l’odeur sont ceux d’un sous-bois, d’une campagne idyllique. Le rideau se lève sur un élégant salon bourgeois. Une longue table y est dressée pour un repas de fête. De hautes portes-fenêtres laissent filtrer la lumière du soleil au travers des voilages. Sur la droite, un coin cheminée au-dessus duquel est accroché un large miroir, à gauche un piano droit. Le tableau est juste au-dessus. C’est un Corot, «Orphée et Eurydice». Un gros plan sur cette image initie la face filmée de ce drame familial.

Un homme âgé sirote un verre de vin, pendant que le personnel domestique met la main aux derniers préparatifs. Il s’apprête à recevoir ses proches pour fêter ses soixante ans.

Le décor est saisissant, encore amplifié lorsqu’il est filmé par le steadicam (caméra stable). Deux pans de mur se révèleront mobiles, découvrant d’un côté la cuisine et de l’autre une chambre à coucher. La caméra, oeil rapproché du public, s’infiltre dans les hors-champs: coulisses, cuisine, lit conjugal et salle de bain. Elle s’accroche aux expressions en gros plans, se faufile dans l’action en plans séquences, se coule entre les protagonistes en plans rapprochés. La «performance filmique» à laquelle nous assistons appuie l’action théâtrale de ce dispositif cinématographique. En temps réel et à vue. Du grand art! Cette nouvelle écriture scénique est d’ailleurs identifiée par une charte créée par le collectif MxM.

Christian arrive le premier. C’est lui qui dévoilera le secret de sa famille à l’assemblée. Lui, le jumeau d’une soeur récemment suicidée. Tous deux victimes d’inceste. L’hypocrisie complice de l’assistance est aussi choquante que la perversité de ce père manipulateur. Sa révélation, par trois fois réitérée, occultée par le déni aveugle et muet de tous, se fait dans une souffrance frôlant la folie. Christian est heureusement soutenu par le personnel de la maison. A la manière d’un choeur antique, comme des gardiens de la mémoire traumatique familiale, ceux-ci l’approuvent et l’encouragent.

Le frère cadet, enfermé dans une colère perpétuelle, et la seconde soeur, instable et fébrile, s’ils ne se doutaient de rien, ne sont pas épargnés par le secret environnant. On les sent à l’affût, inclus dans le cercle hermétique d’une intimité familiale oppressante. Du pire, la mère demeurera complice, s’agrippant au mirage de l’apparence, allant jusqu’à remercier son mari et demander à son fils de s’excuser. Les autres invités font mine d’ignorer le drame et poursuivent les agapes, légèrement gênés, mais buvant et bavardant.

Le père ne laisse transparaître aucune émotion. Le mensonge est ancré en lui. Certain de son incontestable puissance, il récupère l’accusation de Christian, joue au vieil amnésique, puis tente le chantage menaçant. Il ne perdra contenance qu’au-devant d’une résistance, celle des domestiques, jusqu’alors petit peuple soumis à ses ordres souverains.

La version théâtrale de ce film dérangeant lui offre un renouveau opportun. Tragédie intemporelle, concept novateur, comédiens brillants, scénographie impressionnante, mise en scène tirée au cordeau: allez voir cette pièce réaliste relevée par la contemporanéité de sa performance technique. Vingt ans après le film, le théâtre vivant est plus solide que jamais!

La caméra, magique, nous offre un accès aux images mentales de Christian, de sa soeur morte qui lui parle. A la fin, il se tourne vers le tableau, nous permettant d’y entrer. La scène peinte par le Maître prend vie: Orphée emmène Eurydice loin des Enfers.

Culturieuse

Photos Simon Gosselin

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