MOI, LE PETIT CHAPERON ROUGE ET « DAU »

CRITIQUE. DAU – réalisateur Ilya Khrzhanovsky – Théâtre de la Ville – Théâtre du Châtelet – Centre Pompidou – du 24 janvier au 17 février 2019 à 00.00.

Moi, le petit chaperon rouge et DAU.

Alléchée par le diagramme de Dau pour le théâtre du Châtelet que je n’avais pas pu complètement visiter pour cause de maintenance, j‘y retournai une semaine plus tard munie d’une extension de visa.

Je ne sais si l’homme en robe noire qui m’accueillit pour un entretien introspectif dans un des isoloirs argentés était un pope orthodoxe, toujours est-il que lorsque je lui racontais mon histoire personnelle et lui demandais de procéder à un exorcisme, il battit en retraite, me laissant face à une volée de sous sols à explorer. Le Châtelet serait un bon abri anti-nucléaire en cas de conflit atomique, j’y rencontrais pelle mêle un sex-bar rempli de poupées et poupons gonflables, de sex toys, et de mecs qui te regardent traverser le lieu d’un regard torve ; des lignes de gros fauteuils rouges ultra confortables destiné à visionner du porno en cours de maintenance ; une installation de Castellucci qui, te faisant plonger dans les ténèbres te mène face à un Poseïdon de pierre, une palanquée d’ isoloirs argentés d’ou s’échappent les cris et gémissement de jouissance des extraits du films Dau, cabines bien pratiques pour l’échange de substances illicites ou d’autres activités occultes, des salles de projection et des toilettes sèches.

Au cours de cette nuit je visionnerai trois court-métrages, aurai deux conversations introspectives avec deux auditeurs, écouterai un concert de musique électro-acoustique, et une conférence sur l’énergie nucléaire, des chœurs folkloriques de femmes russes, mangerai un coquelet avec de la purée de pommes de terre, un hareng au pain noir accompagné de Kwas pétillant, taillerai une bavette avec le metteur en scène, et pour terminer ma nuit me glisserai voluptueusement sur un des canapés du troisième étage du théâtre de la Ville reconstitué en intérieur Russe, sous une authentique peau de loup dont la gueule béante à mes pieds arbore une dentition du plus bel effet, me faisant alternativement passer du statut de petit chaperon rouge à celui de mère grand.

A six heures et demi du matin le vigile plein de gentillesse qui en plus du loup avait veillé sur mon sommeil, me réveille sur ma demande, et me laissant remettre mes chaussures s’éclipse m’envoyant un baiser du bout des doigts. Pour moi l’expérience Dau aura été concluante et inspirante de bout en bout, si on la considère dans son ensemble, Dau fait assez bien le lien entre spectacle vivant, performance et arts plastiques. Comme on ouvre à la main une orange en deux, exposant sa chair, passant du volume au plan, le metteur en scène aura étalé et éparpillé les composantes de son film en alternant projections et expériences psychologiques, artistiques, sensorielles, pour mieux les faire vivre de façon immersive au public.

Ilia Khrysanovsky, je l’ai rencontré deux fois puisqu’il était là tous les soirs, je l’ai trouvé plus préoccupé de technique entre le son du concert électronique qu’il trouvait mauvais et le système des devices qui disfonctionnait, cette fois-ci je lui demandais si il ne se sentait pas un peu comme le Napoléon du spectacle vivant, là il a rigolé un peu jaune, me regardant avec ses yeux légèrement bridés et sa bonne tête de Russe aux joues rondes et juvéniles, et lorsque je lui ai fait remarquer innocemment que l’organisation de la performance était à vue de nez franchement bordélique et si verticale que beaucoup de médiateurs censés renseigner les gens répondaient “ qu’ils ne savaient pas ”, il avala sa salive pour me rétorquer qu’ils avaient été briffés pour répondre ça. Il semblait nullement embarrassé par mes questions et gardait toujours une sorte de bonne humeur, alors qu’il s’interrompait toutes les deux minutes pour saluer tendrement ses nombreuses conquêtes qui gravitaient autour de nous. A la fin de notre entretien il me confia l’air embêté qu’il manquait de médiateurs et qu’il n’avait plus un centime. Puis appelant son assistante, grande belle et brune, m’envoya dans les tréfonds du Châtelet visiter l’installation de Castellucci que j’avais zappée.

Je n’ai aucune idée du budget global de l’opération, les médiateurs ont été recrutés par le bouche à oreille, tous les intervenants, vigiles, femmes de ménage, auditeurs ont été payés,(mais je ne sais pas combien). Au bar le kvas et le hareng étaient à bas prix, deux euros, le coquelet purée à cinq. Les acteurs du film Dau n’ont pas du être maltraités puisque j’ai croisé deux charmantes actrices souriantes et détendues dans les couloirs du Châtelet.

Bref c’est un mauvais procès de traiter les créateurs de Dau d’exploiteurs. Et dans l’ensemble les intervenants semblaient plutôt contents de participer à une telle aventure même si ils travaillaient douze heures par jours pour certains.
Que peut on leur reprocher vraiment à par d’être Russes, d’avoir annexé nos deux plus beaux théâtres nationaux en travaux et d’avoir les fonds pour le faire ?
Il me semble qu’on se doit d’accueillir les artistes étrangers avec un peu plus de bienveillance, qu’ils se soient cloués la peau des couilles sur les portes de la Société générale ou celles du Kremlin ou bien qu’ils aient tenté de vous enfermer dans une histoire d’un totalitarisme glauque dont les homosexuels masculins sont totalement bannis, il est vrai, mais personne n’est parfait.
Il ne tiendra qu’à vous d’en sortir comme d’un conte de fées…

Claire Denieul

dau8

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