« M. LA MULTIPLE », LES MERES IDEALES OU MONSTREUSES DE NINA NEGRI

CRITIQUE. « M. la Multiple » de Nina Negri. Dans le cadre des « Newcommers » au théâtre de Vidy, Lausanne, du 31.01 au 2.02 2019.

Après s’être formée en Italie et en France, Nina Negri passe son Master Mise en scène auprès de La Manufacture, Haute Ecole des arts de la scène. Elle présente ici son projet de fin d’études.

Un losange flou émerge lentement de l’obscurité. On dirait d’abord une sculpture de Madonne, bras écartés. Et puis non, c’est une monumentale vulve ouverte, d’une blancheur virginale. Derrière le tulle, apparait l’ange annonciateur et une vierge en extase recouverte de son voile bleu. Jusqu’à l’instant où un moderne quidam fait irruption devant ce tableau baroque et, en terme technique, confirme la grossesse. Marie s’effondre…

Car, oui, ce M de l’intitulé est bien celui de la Mère. Ou plutôt des mères, idéales ou monstrueuses, y a-t-il un potentiel juste milieu? Imaginons sa silhouette. Elle n’a pas tellement changé au cours des siècles. N’est-elle aujourd’hui encore que le miroir de la sainte Mère entrevue dans les Ecritures? Tout le propos de cette pièce s’appuie sur ce statut, cette fondation humaine, celle qui enfante et devient l’incontournable pilier de chaque être.

Malgré l’intrusion d’une échographie, le mystère de la création reste entier si l’on réfléchit à ce qu’il implique. Comme un cheval fou lâché dans la ville, l’enfant qui naît est précipité dans un monde hostile. Sa génitrice n’est pas moins désemparée.

Un monolithe rectangulaire, tel l’éternel statut de la mère, est dressé sur la scène, citation cinématographique de l’aube de l’humanité. Fendu en son centre. D’où naîtra, dans une cacophonie grinçante, un être nu et fragile. A la merci, attendrie ou exaspérée, d’une personne toute puissante.

Découvrir la maternité, c’est pénétrer un nouveau monde. Un monde où il faut accepter l’aléatoire et le paradoxal, quelque chose de douloureux et d’unique. Quelque chose qui morcelle et fragmente le corps féminin. C’est devenir des parties d’allégories statufiées, figurées par des prothèses.

Pour l’enfant, la toute puissance d’une mère est protectrice. Au début. Pesante finalement. Ses recommandations perpétuelles, souvent les mêmes, sont scandées par un individu tournant sur lui-même qui, comme les vrais derviches, passe de la mendicité à la folie. Maman? Mamaaan! Un moment drôle et tragique à la fois.

Pareil pour les injonctions maternelles. Comme d’un habit choisi, l’enfant est revêtu de consignes, il va falloir se battre pour les ôter. La fantastique danse acharnée et colérique du comédien en viendra à bout.

C’est un poème magnifique qui dira toute l’ambiguïté du rapport à la figure de la mère. La mère qui donne, que l’on veut pour soi, ma mère, ma croix, elle et moi, elle est moi, elle est à moi… Par sa force et son courage inouï, elle apprend à danser la vie.

Un vaste thème que celui de la maternité. La pièce de Nina Negri rassemble énormément d’idées esthétiques, traitées en symboles quelquefois obscurs, mais qui interrogent judicieusement le spectateur. En filigrane, un souffle de Romeo Castellucci ? Les textes sont puissants et bien écrits, complétés par des parties visuelles souvent poignantes. Interprétée par cinq comédiens-danseurs-chanteurs impressionnants, cette réalisation mérite toute notre attention.

Culturieuse

Photo Nicolas Brodard

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