« THE GENEROSITY OF DORCAS », CINQUANTE MINUTES DE VIBRANTE BEAUTÉ

generosity

CRITIQUE. THE GENEROSITY OF DORCAS – Conception, chorégraphie et mise en scène Jan Fabre – Musique Dag Taeldeman – Interprète Matteo Sedda – Jusqu’au 31 janvier 2019 à 21h au Théâtre de la Bastille, Paris. 

Note préalable : Comme chacun le sait, une polémique a surgi l’an passé à l’encontre de Jan Fabre dès les premiers faits concernant la compagnie Troubleyn sous le Hashtag #me too, et le « Tribune » s’était étonné alors de la déprogrammation sauvage des spectacles de l’artiste : nous ne saurions que trop vous conseiller d’aller y jeter un oeil, entre autres, de vous faire opinion personnelle de cette situation par vos recueils puis synthèses d’informations.

Au théâtre de la Bastille, lorsque se lève le rouge rideau, c’est sous le Ciel de Joppé que Jan Fabre nous pose. Un coin de bible à théâtre ouvert, cinquante minutes qui dansent la générosité de la disciple Tabitha, la joie d’une femme dans sa mission de service aux veuves à qui elle cousait des manteaux. D’un foudroyant sens du peu, surgit le tout : l’ouvrage à tisser de Tabitha devient la fascinante voûte céleste du récit de cet extrait biblique, éclairée de fils à tisser colorés et d’aiguilles qui régulièrement laissent échapper des éclats, tels des soupirs d’étoiles, tels des luisances paradisiaques. Avant que nos yeux ne discernent pleinement la scénographie, car nous sommes restés dans un temps de silence noir, recueillis avant que ne se dévoile la scène, il aura pu sembler nous apparaître, alchimie des formes des volumes, des lueurs des matières, un mont ? une chambre haute ? une arche ? l’arche d’alliance ?

Avec ce magnifique don de nous laisser libre de nos imaginaires, toujours en nos chemins d’intelligence et d’intuition, par son ultra sens de ce que révélera tel ou tel outil artistique à nos perceptions, one more time, le geste du co-créateur Jan Fabre saisit. Il nous semblera même sentir jusqu’aux encens revenus d’âge en âge rendre témoignage à Tabitha la ressuscitée, il nous semblera entendre sa voix de dévote prier sans relâche, recto tono ses  » I sew for you ». On verra en effet tout, de sa maladie, de sa ressuscitation, et surtout on cheminera au delà de ce tout petit chapître des Actes des Apôtres. Car à la question de savoir ce que Dorcas a encore en ce moment à nous révéler, il semble hautement improbable de rester muet. Joyau artistique donc que de faire de ce « il y avait à Joppé parmi les disciples une femme du nom de Tabitha, en grec Dorcas » cinquante minutes de si vibrante beauté.

Quelques mots sur Matteo Sedda, le performer : tutto perfetto ! De la mine dévote à celle du malin, du vertige dans l’Art de faire philosopher ses mains, notamment cet index à lui seul royaume d’interrogations – la simple désignation, l’ecce homo, l’intimation d’ordre, l’effleurage recueilli de symboles en ordre d’horloge au sol de la scène… – jusqu’à ses onomatopées qu’il libère pour devenir part active de la musique ( géniale partition de Dag Taeldeman, un grandiose groove chamanique !) entre râle, repir’, extase, exultation…Tutto perfetto ! Chaussettes et gants blancs, or aux lèvres, dans le dédale multi-couches de son costume derviche tourneur noir veuve, jupe plissée, capuche de moine, de boxeur, jamais il ne se perd, nous balançant de fins clins d’oeil histoire de nous maintenir en expansion de consciences, dans cet au delà de ce que l’on présume, de ce que l’on devine, de ce que l’on sait ou croit savoir, de ce que l’on attend. On savoure de le voir titiller quelques pas de Thriller de Mickael Jackson, quelques sautillements gazouillis béats d’enfance, puis sa technicité nous éblouit. Il circule dans ces numéros de forme Cabaret, avec une aisance vivement réjouissante, intention et incarnation carburant toujours au remarquablement précis, du western spaghetti au show de fakir, ponctués de fervents agenouillements, pour faire offrande au public des manteaux de Dorcas, mains partant du coeur puis s’offrant à nous, le sourire de ce que c’est qu’une vivante bonté aux lèvres ; résonnent là les « I believe in beauty » des Troubleyn/Jan Fabre, guerriers de la beauté et son « I believe in the model of Christ ». Alors on sent monter en nous comme un inévitable Dieu que c’est beau, chéri pour les croyants, humoristique ou crispant pour les non croyants, un Dieu que c’est beau qu’on a forte joie à transmettre par nos applaudissements, très nourris ce soir là, et nos cris de bravo.

Au tableau final, sexe soigneusement planqué entre les cuisses se transformant en pubis, alors que Le Dorcas remet puis reprend l’Esprit, souffle coeur battant ce remarquable au delà fabrien, fait d’un au delà d’un homme, au delà d’une femme, au delà des bêtes sauvages, au delà de tous les éléments et de toutes les matières, explosif de puissants tempi hors temps hors sol hors croyances hors convenances, cet au delà fabrien qui nous enjoint à l’Acceptation d’être déplacés, en nous, en et vers l’Autre.Qu’il est juste et bon de faire nôtre sa confession : I believe in beauty.

Marie-Zélie

Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris, réservations : 01 43 57 42 14

Photo © Sigrid Spinnox

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