« LA CERISAIE » : TOUJOURS LA MÊME SOUPE

CRITIQUE. « La Cerisaie » de Anton Tchekhov, adaptation de Nicolas Liautard, mise en scène de Nicolas Liautard et Magalie Nadaud, au théâtre de la Tempête jusqu’au 2 février, du mardi au samedi à 20h et les dimanches à 16h.

Quand est-ce qu’ils vont arrêter de nous servir tous la même chose, et toujours à la même sauce ? On a vu ça dix, quinze fois ne serait-ce que cette année, c’est épuisant, à la fin, cet ascenseur émotionnel, ce plaisir gâché en trente secondes d’être venu voir un spectacle important et de se retaper un copier-coller des mises en scène en vogue des trois, quatre dernières années, et encore, avec des airs de dire qu’on a tout inventé. Bon, on a compris que les metteurs en scène ont un petit complexe et qu’ils entendent ces derniers temps surclasser l’auteur ; la dérive est que maintenant, le texte semble être devenu l’ennemi à abattre. L’adaptation n’est pas terrible, mal calibrée, probablement en semi-improvisation tant certains jeux manquent d’équilibre -au point que la pauvre Sarah Brannens n’a de cesse de chercher ledit équilibre à grands renforts de moulinettes.

Ils sont donc, comme d’habitude, nombreux sur scène, peu ou mal dirigés, laissant ce désormais classique sentiment de bazar et de déstructuration globale ; il y a immanquablement les bégaiements de rigueur histoire de placer du texte sur le vif faute qu’il ait été monté efficacement en amont ; on ne se passe évidemment pas des effets boîte de nuit et paillettes au deuxième tiers de la pièce, à grands renforts de techno et de danse, parce que, ce serait dommage, hein, de ne pas mettre un peu de techno de paillettes et de flashes, on risquerait de ne pas faire comme strictement tous ceux qui ont décidé de ne pas faire comme tout le monde. Rien de nouveau, en clair, c’est long, le public est mollement attentif, il ne se passe rien en salle, pas grand-chose sur scène… Quelque chose, quand même, grâce à Nanou Garcia qui est tout à fait somptueuse, et tient le tout à bout de bras avec Thierry Bosc qui déploie un réel génie à infiltrer de la finesse dans tout ce fatras mal agencé. Il y parvient. Sa dernière scène, mieux amenée par ces deux très longues heures d’hésitations enchevêtrées, aurait pu faire date. Difficile de dire si ces deux excellentes prestations valent à elles seules le déplacement.

Autre réussite, les lumières de Muriel Sachs, assistée d’Emeric Teste, qui donnent au spectacle la profondeur que le texte ainsi mal traité peine à rendre. Elles créent de l’extérieur et c’est sur cet extérieur que reposent les quelques moments de grâce dans cet étalage dans l’ensemble disgracieux de vaine contemporanéité. La note d’intention encense Tchekhov, ses « échos avec nos préoccupations contemporaines » ; chez lui « la vie apparaît et le spectateur prend toute sa place, car c’est lui qui donne le sens en reliant les informations (…) ». N’aurait-il pas mieux valu laisser les rênes à Tchekhov, qui aurait, quant à lui, lâché la bride, et en cela, laissé aux spectateurs le soin de prendre les directions qui s’imposaient ? En voulant passer par-dessus Tchekhov, Liautard tombe dans chacun des écueils que Tchekhov, lui, avait habilement contournés, et dont le texte, car c’est sa mission, se charge de prévenir. « On ne sait pas toujours expliquer cette fascination que [le théâtre de Tchekhov] exerce sur nous… » disent de concert Nicolas Liautard et Magalie Nadaud. C’est d’autant plus difficile à expliquer si vous lui retirez précisément ce qui fait son essence. Rendez-nous le texte et rendez-le aux comédiens, vous verrez, tout s’explique.

Je me dois toutefois de préciser que malgré la léthargie générale dans laquelle cette pièce s’est déroulée, j’en atteste, elle fut applaudie à tout rompre par un public nombreux et ravi de s’être réveillé à temps pour acclamer cette proposition qui ne fut manifestement pas si banale pour tous. Pour ma part, je dirai seulement, comme aux abords d’un accident : « Passez, il n’y a rien à voir ».

Marguerite Dornier

Avec Thierry Bosc, Sarah Brannens, Jean-Yves Broustail, Emilien Diard-Detoeuf, Jade FOrtineau, Nanou Gacia, Emel Hollocou, Marc Jeancourt, Fabrice Pierre, Simon Rembado, Célia Rosich, en alternance et Christophe Battarel, Paul-Henri Hanrang ou Nicolas Roncerel

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Une réflexion au sujet de « « LA CERISAIE » : TOUJOURS LA MÊME SOUPE »

  1. Tout à fait d accord avec vous il nous a manqué l esprit de tchekhov des comédiens très inégaux enfin déçu
    Par contre allez voir ANTiGONE82 voilà un spectacle réussi

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