CRITIQUE. « Le dernier rempart », un spectacle musical d’Arthur Besson et Dominique Bourquin, au Théâtre 2.21 à Lausanne du 15 au 27 janvier 2019.
« Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille.. » Un prélude en forme de recueillement doucement déchiré par une guitare électrique. Le seul-en-scène d’Arthur Besson, hommage à son père disparu, n’est pas un spectacle triste. Comme l’évoque si bien le poème de Baudelaire, le regret est souriant.
Les étapes d’une vie d’homme retracées en un poème, puis une lucarne allume les images anciennes d’un film familial qui esquisse les jours où le père se fait complice et joueur. Les sons tirés de la guitare sont samplés, et des boucles musicales, comme autant de réminiscences, passent et repassent, se transforment et s’étirent.
Apparition de « Grany », pilier mémoriel. Un dialogue s’instaure entre l’aïeule et le petit-fils, entre son image projetée et l’artiste en scène, dialogue teinté de douceur et de malice, comme imprégné d’antan et pourtant arrimé au présent.
Utilisant divers instruments, le musicien joue de sonorités ludiques, évoquant la campagne, le village d’enfance, les animaux de la ferme. Tandis que les images prennent de la vitesse, c’est la vie qui file à l’allure des transports. L’occasion d’une belle métaphore, l’artiste courant pour tenter de rattraper les images de ce temps révolu. Survoler ensuite ce pays de vignobles dans un aéroplane blindé, avec les mots d’un Higelin désormais absent, tout comme la figure paternelle.
Les projections sur le mur se font mosaïques et tanguent avec les jeunes mariés qui deviendront les parents de ce fils adulte, l’artiste, qui les accompagne de sa guitare en une valse lente et mélancolique.
Mais bientôt gronde une sourde litanie, celle de la maladie, des listes infinies de médicaments, des images insensées et des mots oubliés. Les singulières mélopées de la guitare deviennent toxiques et éraflent un milieu devenu inhospitalier. La courbe neuronale s’affole, la fréquence des secousses sismiques accélère…puis, inexorablement, diminue. Temps mort. Temps permanent. Chant indien séculaire, le Dhrupad.
A-t-on jamais tout dit à ceux qu’il faut quitter?
Vient le moment des formalités, trivial, inepte, saugrenu. Les phrases convenues, le ridicule et l’indispensable, le traditionnel et l’immuable. La guitare se fait grave, les chants liturgiques.
Images d’église, lieu d’union et de séparation. Passé, présent, futur. L’élan éternel. La vie.
L’incursion dans les souvenirs, la convocation des images, les arrangements sonores, la poésie émanant des textes comme des arrangements vidéo et la subtilité du jeu musical font de ce spectacle polymorphe un moment pénétrant d’humanité partagée.
Arthur Besson (1968), guitariste et saxophoniste, a travaillé entre autres avec Matthias Langhoff et pour les théâtres de Vidy, du Peuple de Bussang, TGP / Saint-Denis et Comédie-Française. Son Association MATô met la musique au centre de la création tout en s’efforçant de trouver des formes de narration novatrices. Son univers musical atypique a donné lieu à de nombreuses compositions pour la scène et le cinéma.
Culturieuse