CRITIQUE. « Après la fin » – Compagnie Le Beau Danger – D’après un texte inédit de Dennis Kelly – Mise en scène : Maxime Contrepois – Jeudi 17 janvier 2019 à l’Atheneum de Dijon.
« Après la fin » est l’adaptation d’un thriller théâtral du dramaturge anglais Dennis Kelly. Il s’agit d’un huis-clos dans lequel se joue un drame psychologique. Mark et Louise sont blessés, ils semblent être les seuls survivants d’une catastrophe. Louise est comme prostrée, encore sous le choc. Mark lui raconte les choses horribles qu’il a vues dehors, juste après le drame : une explosion nucléaire. Heureusement, il a réussi à les mettre à l’abri dans son bunker, situé au fond de son jardin. Un bunker qu’il a pris soin, depuis longtemps, d’aménager et même de décorer.
Le décor est bien pensé. Dès les premières minutes, il plonge le spectateur dans un univers glauque, angoissant, sombre, apocalyptique. Le jeu des comédiens vient renforcer cette impression. En effet, Mark apparaît d’abord sous un jour plutôt favorable. Il fait preuve d’un sang-froid exemplaire et pense immédiatement à organiser leur survie. Sa prévoyance légendaire, qui lui valait régulièrement des moqueries de ses camarades, va enfin pouvoir être estimée à sa juste valeur. Tout le stock de nourriture, d’eau et les jeux qu’il avait prévus en cas d’incident, arrivent à point nommé. De plus, il se veut rassurant, prévenant. Louise n’a pas à s’inquiéter, il prendra soin d’elle. Elle n’a, jusqu’à ce jour, jamais vraiment fait attention à lui mais les choses vont peut-être changer puisque la situation la pousse à l’envisager comme un héros.
Pourtant, le masque du héros se fissure petit à petit, avec des petits riens qui sèment le doute dans l’esprit de Louise et de celui du spectateur. Mark évoque, avec une précision effrayante, des moments où Louise n’a pas fait attention à lui. Puis, il la rationne, pour économiser la nourriture peut-être, à moins que ce ne soit pour créer un lien de dépendance, de soumission et instaurer un pouvoir tyrannique sur elle. Ensuite, il y a ce jeu, « Donjons et dragons », auquel il veut faire participer Louise. Pour lui faire oublier l’horreur, pour s’évader par l’imaginaire, pourrait-on penser. Mais Mark est autoritaire, agacé devant les réticences d’une Louise qui n’a guère le cœur à jouer. Il veut à tout prix qu’elle respecte la trame narrative qu’il a dans la tête. Aucun détail n’est laissé au hasard. Le passe-temps, censé les divertir et leur apporter un peu de légèreté, devient pesant, oppressant, gênant. Enfin, ce sont des voix à l’extérieur qui se font entendre et laissent planer un doute sur la nature exacte du drame qui s’est joué précédemment.
Pour ajouter à cet univers macabre, le spectateur est régulièrement plongé dans le silence et l’obscurité. Ces courts moments peuvent évoquer les jours qui se succèdent mais ils contribuent aussi largement à la création d’une atmosphère angoissante.
Enfin, arrive la chute, suggérée intelligemment par un changement de décor puis de costumes. Les masques tombent, la réalité reprend ses droits mais le mal est fait. La pièce aurait pu s’arrêter là, mais le spectateur assiste ensuite à une confrontation post-traumatique entre les deux protagonistes. Cet ultime affrontement est nécessaire pour montrer les conséquences psychologiques du drame mais il peut paraître très long parce que le public se sent pressé de quitter cette atmosphère et ce scénario imaginé par un esprit malade.
Pourtant, on aurait pu s’attendre à ce que la tension retombe, une fois les personnages sortis de cet abri et de ce scénario macabre, mais leur entrevue donne lieu à un autre huis-clos, peut-être encore plus pesant, parce que Mark et Louise sont alors, d’une certaine manière, chacun pour des raisons différentes, encore plus effrayants. A la fin de la pièce, le spectateur est soulagé que le thriller s’achève, c’est dire si l’oppression était grande…
Les thrillers psychologiques mettent en scène, dans un suspense haletant, des manipulations, des obsessions dont le spectateur ne prend conscience que petit à petit, au fil des répliques, jusqu’à l’évidence traumatisante, qui éclate à la fin. Ce qui est certain, c’est que la mise en scène ici proposée, parvient à créer une tension d’un bout à l’autre de la pièce et déroute, tant elle montre avec justesse, la psychologie effrayante d’un des personnages et l’anéantissement progressif de l’autre.
Aurélie Gay
Avec Elsa Agnès et Jules Sagot. Scénographie : Margaux Nessi. Création lumière : Sébastien Lemarchand. Création son et régie vidéo : Baptiste Chatel. Création vidéo : Raphaëlle Uriewicz. Régie générale : Solène Ferréol. Costumes : Joana Gobin. Régie lumière : Nina Tanné. Administration, production, diffusion : Léa Serror