« PUR PRESENT », LA TRAGEDIE SELON OLIVIER PY

CRITIQUE. « Pur présent » (La Prison, L’Argent et Le Masque) – Textes & mise en scène Olivier Py – Théâtre National, Bruxelles – Du 16 au 19 janvier 2019.

Olivier Py, le flamboyant Directeur du Festival d’Avignon, nous offre au Théâtre National une trilogie d’après Eschyle où l’on retrouve ses propres questionnements sur les problèmes sociaux et politiques d’aujourd’hui. Il a écrit la pièce* et la met en scène dans un décor minimaliste (qui ajoute à la tension du texte) avec trois acteurs extraordinaires. A noter la remarquable performance du très jeune Neil-Adam Mohammedi (présent uniquement le 18 janvier) et celle bien sûr de Nazim Boudjenah de la Comédie Française.

« La Prison, L’Argent et Le Masque ». Trois acteurs, un pianiste (bravo pour la belle et toujours juste interprétation de Ravel ou Wagner par le grand Guilhem Fabre), des tréteaux et une chaise, qui sert peu souvent à s’asseoir. Olivier Py a donné toute sa place à la voix des acteurs et c’est cette performance théâtrale qu’il faut saluer et qui gagne en force sans oublier la magnifique toile de fond de Guillaume Bresson, mélange de Rubens et d’une photographie qui pourrait rappeler le Parc Maximilien.

Dans « La Prison », on reconnait le travail qu’a fait Olivier Py en milieu pénitencier, comme dans la maison carcérale du Pontet (à Avignon ndlr) pour « Antigone ». Il connaît la violence, le désespoir et la vacuité des valeurs de ce milieu. Il décide de présenter cette altercation entre le « bourgeois » et le « bandit » comme sur un ring de boxe. Et il trouble le spectateur qui ne sait plus de quel côté son cœur penche.

Ensuite, « L’Argent » est peut-être quelque peu attendu dans sa critique du monde capitaliste mais la performance scénique du banquier vaut à elle seule le déplacement. Il est tour à tour séducteur, joueur, inquiétant. Quand il dit « l’esprit s’est envolé dans une voiture de course », comment ne pas reconnaître l’absurdité de ce monde dans lequel les chiffres semblent l’avoir emporté sur les lettres ?

Dans la dernière pièce, le « Masque », peut-être la plus forte dans son message mais la plus faible dans sa mise en scène, Olivier Py pousse le dépouillement scénique à son paroxysme et se concentre sur des interrogations philosophiques. Très vite, le spectateur est troublé par les thèmes évoqués qui rappellent les revendications des « gilets jaunes ». Cette incursion de l’actualité de la rue au milieu de cette pièce poétique et parfois mystique, est troublante. Comment ce texte écrit avant les événements qui ont débuté en France le 17 novembre 2018 peuvent-ils résonner avec autant de similitude et de force dans la bouche de cet acteur masqué ? La question que pose le dramaturge est : comment vivre dignement ? Peut-on être respecté ? Peut-on encore croire en la démocratie représentative ? Le tout bien sûr avec la puissance du verbe et l’érudition de l’ancien khâgneux (classe préparatoire littéraire à l’Ecole Normale Supérieure) qu’est Olivier Py. Les références à Dieu reviennent souvent et surtout, dans la lignée de cette référence à la dignité, l’invitation est faite aux acteurs de s’agenouiller (peut-être un peu trop souvent).

Prisonnier, banquier, rebelle masqué, on remercie Olivier Py de donner la voix à ces hommes (la relation père-fils est ici centrale) et de poser ces grandes et larges questions à la fois politiques et philosophiques. Un théâtre total comme on les aime.

Colombe Warin,
à Bruxelles

*« Pur présent » est publié aux éditions Actes Sud-Papiers

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