CRITIQUE. « KEAN » d’Alexandre Dumas – Adaptation de Jean-Paul Sartre – Mis en scène par Alain Sachs assisté de Corinne Jahier – Au Théâtre 14 Jean-Marie Serreau, jusqu’au 23 février, mardi, vendredi et samedi à 20h 30 mercredi et jeudi à 19h – matinée samedi à 16h.
Alain Sachs, vous signez une merveille. Ce « Kean » est un vrai, vrai régal. On sait comme il est plus aisé de s’attaquer aux faiblesses d’un spectacle, et vous ne m’avez pas rendu service, mercredi dernier, à rivaliser de qualité les uns avec les autres. L’ovation est tout ce que vous méritiez, et on s’est levé avec une spontanéité folle, vous avez enchanté une salle comble, et pas la moins exigeante… Le public du 14 est un public averti.
Alors quand tout est bien, reste sans doute à dire ce qui est très bien.
Alexis Desseaux est un Kean aux allures de David Tennant, dégingandé, loufoque, au feu sombre et au jeu d’une modernité saisissante. Un alien. Son charisme aurait suffi à faire tenir cette pièce debout.
C’eût été compter sans Justine Thibaudat, qui endosse probablement le rôle le plus charmant et le plus attachant de cette saison. Mesdemoiselles de théâtre, prenez garde, elle irradie. Sophie Bouilloux, sa rivale, loin de souffrir la comparaison, joue crescendo, sa dernière scène est une petite apothéose à elle toute seule. Eve Herszfeld n’est pas en reste, elle est tordante, à vous remettre tout le boulevard à sa place ; sa puissance comique balaie tous les cheveux (un peu blancs, disons-le) du public d’un hérissement de rire. Et un bon rire, de ceux qui commencent dans le ventre et qui réchauffent tout jusqu’à jaillir de la gorge avec une fraicheur de gosse !
Dans sa lignée, Stéphane Titeca est un Salomon tout droit extirpé des enfers où il était Sganarelle, un vrai valet de comédie, et on parle de la plus grande. Frédéric Gorny est un Prince de Galle séduisant, dont l’intelligence du jeu permet de ne jamais pâtir de la réplique géniale de Desseaux, en se posant en Philinte, prenant sa part de lumière en accroissant celle de son partenaire sur scène. Pierre Benoist, polymorphe, et Jacques Fontanel sont chaque fois des apparitions savoureuses, avec ce vrai talent des seconds rôles. C’est une très belle équipe, à l’excellente humeur contagieuse.
De bons comédiens, donc, qui virevoltent dans les beaux décors de Sophie Jacob et les belles lumières de Muriel Sachs, costumés avec audace et goût par Pascale Bordet et Solenne Laffitte, qui osent sans forcer. L’adaptation de Sartre du texte de Dumas se trouve dans les meilleures dispositions. Mais vous saviez, vous, que Dumas est drôle ? Que Sartre est drôle ? Et c’est une détractrice fervente de Sartre qui vous parle. On aurait envie d’en savoir un bon tiers par cœur, et de pouvoir se rappeler à peu près correctement de tout le reste : la langue est savoureuse, la salle rit, on entend parfois les fauteuils de droite chuchoter aux fauteuils de gauche, hilares, la réplique précédente.
Ma recommandation : il faut se laisser prendre au jeu et confondre l’acteur qui joue l’acteur qui joue un rôle, avec ce Kean qui n’est « peut-être qu’un acteur en train de jouer Kean dans le rôle d’Othello », mais ne pas se méprendre : ce n’est pas un tableau, c’est un miroir. Si vous trouvez ce « Kean » seulement divertissant, c’est bien qu’on ne sait plus à quoi on ressemble.
« Monsieur Kean, si vous jouiez à être bon ?
– Bon, ce n’est pas un rôle du répertoire. »
Ruez-vous.
Marguerite Dornier
* Avec Pierre Benoist, Sophie Bouilloux, Alexis Desseaux, Jacques Fontanel, Frédéric Gorny, Eve Herszfeld, Justine Thibaudat et Stéphane Titéca