« KANATA », UNE BELLE BOURDE THEÂTRALE DE ROBERT LEPAGE

CRITIQUE. KANATA – mes Robert Lepage – épisode 1 « La controverse » – Théâtre du Soleil – Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 31 janvier 2019 – Avec le Festival d’Automne à Paris.

« Kanata » représenté au théâtre du Soleil, à la cartoucherie de Vincennes est un spectacle monté par Robert Lepage avec les comédiens de la troupe d’Ariane Mnouchkine.

Le spectacle raconte au travers d’un fait divers terrible, (une histoire de meurtres en série), le quotidien des « natives », les indiens du Canada, qui s’étant vu dérober par les blancs, leur territoire, leur coutumes, et mêmes leurs enfants, ont sombré dans l’assistanat, la drogue, la prostitution bref la déchéance totale.

Vient se greffer là dessus l’histoire d’une peintre francaise, venue travailler à partir de ces meurtres, pour en faire une série de tableaux revendus au profit des victimes du tueur en série qui sont évidement toutes des « natives » Canadiennes, et des remous que cela provoque au regard de l’utilisation de l’image des victimes , même si cette action est à des fins artistique et caritative.

On assiste là à une mise en abîme du problème de fond qui a été soulevé par le spectacle dès les premières représentations.

Le spectacle qui fleure bon l’hyper réalisme est magnifiquement interprété par les comédiens et comédiennes du théâtre du Soleil, et puisque l’on parle aussi de peinture dans ce récit, les couleurs et les matières ont une présence lisse et dense, qui raconte cette histoire comme avec des images, dans un grand livre.

Le texte très quotidien, écrit à partir d’improvisations, renvoie au terre à terre de l’intrigue, et à part une très grande scène d’anthologie qui forme la clef de voûte du spectacle, on ne sombre jamais dans l’onirisme.

Robert Lepage, n’est pas un indien canadien « native », et quoi? Il a travaillé beaucoup avec eux, en tout cas suffisamment pour savoir de quoi il parle.

Mais il livre à nos yeux occidentaux, un regard qui vient d’en dehors, presque un regard d’anthropologue, et donc une vision très extérieure et supérieure de ce monde, pleine de bons sentiments, qui présente l’indien comme une victime. Une victime du monde blanc en premier chef. Aux prises avec l’univers sordide des vices de la civilisation apportée par les blancs. Drogue, prostitution, bris des liens familiaux, crimes.

Alors c’est sûr, l’homme blanc fait beaucoup de ravages avec sa supériorité technologique, son machisme, sa religion, son désir de conquête, ses multinationales, et son capitalisme.

Il a absolument tout capturé, les terres, les modes de vies, les nouveaux nés, et maintenant avec Robert Lepage, un des metteurs en scène phare d’une société occidentalisée, l’histoire des Indiens du Canada et leur réalité sociale sont encore écrites par l’homme blanc, même s’il ne porte pas de costard cravate et qu’il est bourré de bonnes intentions.

Alors il y a quelque chose chez moi qui suis une femme qui comprend que les indiens en ont assez de passer pour des victimes quelle que soit la réalité de leur condition, qu’ils n’ont plus grand chose qui leur appartienne à part un patrimoine immatériel et une réalité difficile et qu’il vaut mieux les aider à raconter leur histoire avec ce qu’ils veulent dire, de la façon qui leur plait, plutôt que d’alerter une opinion déjà sensibilisée au sujet des ravages de la colonisation et les ratages sociaux.

Que Franck Lepage est un immense artiste international qui quelque part leur vole leur sujet, leur histoire, en ne mettant en valeur que la part noire de cette communauté au point d’en faire tout un peuple de misère.

Oui je comprend qu’ils ne soient pas contents, et qu’ils l’aient manifesté en essayant d’interdire le spectacle, même si du coup cela ressemble évidement à de la censure.

Et à vrai dire en regardant tout cela je me suis demandé si Lepage aimait vraiment ces gens dont il parlait. Car, il y a inscrit dans tout travail théâtral un amour obligatoire du sujet que l’on traite et du personnage qu’on interprète, même si c.est un méchant, un pauvre ou un rate.

Donc à part les grandes forêts du nord ouest du Canada, Robert Lepage aime t’il vraiment Vancouver, les « natives » leur culture, où préfère t’il la peinture ?

Oui, c’est une question que je me suis posée.

Je suis convaincue que si Ariane s’était, elle, penchée sur le sujet comme elle l’a fait pour le Cambodge par exemple, le résultat eu été tout différent.

Enfin un spectacle, c’est beaucoup de travail d’énergie et d’argent, ne pas le représenter c’est comme d’enfanter un bébé mort, pour tout le monde, comédiens techniciens, troupe, et les chefs des indiens du Canada l’ont bien compris qui ont finalement donné leur accord pour que le spectacle vive, en montrant dans leur sagesse qu’ils sont eux, contre toute forme de censure.

Il conviendrait aussi que les producteurs et diffuseurs de spectacle se posent la question de savoir pourquoi finalement Lepage a eu le champ libre pour porter le sujet au plan international et pas un metteur en scène plus proche des « natives » par l’origine mais peut-être plus modeste et tout aussi investi et talentueux.

Voilà les vrais questions qu’il convient de se poser qui pourraient faire avancer cette bourde théâtrale parce que à mon avis ç’en est une, bien assumée certes, mais bourde quand même.

Les comédiens de la troupe d’Ariane Mnouchkine eux, ne se posent pas de questions dérangeantes, sinon ils ne pourraient pas jouer. Peut être quand tout cela sera fini pourront-ils y réfléchir.

D’ailleurs lorsque je suis allée les voir ils étaient occupés à bien d’autres travaux, comme celui de préparer un réveillon Brésilien pour le nouvel an, avec concertation, autodiscipline, sous la houlette d’Ariane qui comme le bon vin s’est bonifiée avec le temps et qui du début jusqu’à la fin, en super maîtresse de maison qui reçoit six cent convives comme on en accueille dix, contrôle tout, de la façon dont sont découpés bouquets de céleri, de fenouil et d’endives, jusqu’à la préparation simultanée de trois plats brésilien, au poulet, au crabe et végétarien, secondée magnifiquement par une équipe internationale de comédiens multitâches, sur lesquels elle peut se reposer car vraiment ils l’aiment et la soutiennent.

Claire Denieul,
le 11/01/2019

Photos Michel Leclerc, Michèle Laurent

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