EGON SCHIELE, BASQUIAT : DEUX OEUVRES PUISSANTES ET INTEMPORELLES CHEZ LOUIS VUITTON

EXPOSITIONS. Egon Schiele – Fondation Louis Vuitton, Paris – Jusqu’au 14 janvier 2019.

Même une œuvre érotique peut être considérée comme sacrée -Egon Schiele.

L’exposition qui se tient à Paris XVIéme, dans ce batiment artistique de la Fondation Louis Vuitton (12 voiles de verre exécutés par l’architecte Frank Gehry) propose une centaine d’œuvres d’Egon Schiele (1890/1918) jusqu’au 14 janvier 2019.

Pour l’essentiel des autoportraits masculins qui apparaissent ainsi à la fois introvertis et extravertis, des nus féminins. Quelques natures mortes, fleurs, et paysages…

Le monde de Schiele est réduit aux seules représentations de corps hors du lieux et du temps : pas d’horizon ni de support. Son style expressionniste : figures déformées, formes tourmentées, style expressif singulier, perspectives audacieuses et couleurs incandescentes reflètent, dans son travail d’artiste, une excitation angoissée qu’illustrent ses représentations érotiques parsemées d’accents agressifs rouges, violets, orangés.

Dans le contexte de l’époque, qui le rapproche des idées de Sigmund Freud, Schiele se penche sur le corps érotisé. Le spectateur est confronté à sa propre sexualité : il sait que la pulsion scopique -celle du voyeur- est consubstantielle au mécanisme du dégoût et de l’attraction.

La synthèse de l’évolution et du style qu’adoptera Egon Schiele, est donné par le premier tableau : une œuvre de jeunesse « Danaé ». Schiele représente Danae dans un environnement minéral typique du graphisme de la Sécession viennoise, courant artistique né à Vienne entre 1898 et 1906 et dont Gustave Klimt en est l’inspirateur avec Kokoschka. Un hommage rendu par l’un des artistes du Siècle d’or viennois à la femme.

En 1906, Schiele est brillamment reçu à l’Académie des beaux-arts de Vienne. Âgé seulement de seize ans, il devient le benjamin de cette prestigieuse institution. Pendant deux ans, il « exécute » l’étude demandée, en coup de vent. La capacité à saisir les formes humaines en quelques traits économes : tel est le style d’Egon Schiele. L’enseignement conventionnel, académique, lui paraît de plus en plus éloigné de la vérité des émotions.

À partir de 1908, Schiele adopte la ligne ornementale du Jugendstil, (l’Art nouveau s’appuie sur l’esthétique des lignes courbes : l’inventivité, présence de rythmes, couleurs, ornementations inspirés des arbres, des fleurs, des insectes, des animaux…) qui reflète l’influence de Gustav Klimt. De Klimt, et de son célèbre style (doré) il ne gardera rien  » chassant peu à peu, comme les brumes d’un rêve, les ornements  » pour découvrir les gestes dépouillées qui sont au cœur de son art érotique. En 1910, ses dessins sont le reflet de son trouble intérieur. Il a saisi les outils esthétiques de l’instant T que lui offraient le processus créateur de la sublimation. La crainte, la confusion des sentiments, la fascination ressenties par Egon confronté au désir n’ont rien que de très naturelles.

Son mariage avec Edith, ses obligations militaires en zone de guerre ont eu pour principal bénéfice de le libérer de ses conflits intérieurs d’adolescent. Son style change. Ses derniers dessins sont plus doux, moins perturbés, avec des formes plus arrondies et voluptueuses. Les derniers nus de l’exposition sont plus classiques. La découpe erratique et la dislocation spatiale demeurent ( son style) mais sont réduites en intensité comme en fréquence.

L’émotion sexuelle, que lui procurait le nu de la femme posant devant lui, n’est plus aussi intensément exploré. La sensualité de la chair se fond de manière si intime à celle de la surface peinte que l’érotisme se trouve habilement enfermé dans l’esthétisme. Égon Schiele était persuadé de remplir une mission sacrée qui devait l’affranchir des limites imposées par la bourgeoisie en place et ses codes sociaux.

L’exposition nous permet de déchiffrer ses travaux comme autant de pages d’un journal intime relatant l’exploration de sa propre sexualité ; il n’a que vingt ans, son œuvre est scellé dans les dix dernières années de sa courte existence. Il donne forme à ses sensations immédiates : la curiosité teintée d’angoisse, la frustration sans doute, la traversée périlleuse des pulsions; ces incertitudes fiévreuses de l’adolescence.

Egon Schiele était doué pour le dessin comme en a témoigné sa mère depuis ses dix-huit mois et jusqu’à l’ultime souffle de vie (il dessine sa femme trois jours avant sa mort). En octobre, Edith, sa femme enceinte de six mois, contracte la grippe espagnole, qui l’emporte le 28. Egon, déjà atteint par l’épidémie, ne lui survit que trois jours. Il est emporté, à son tour, à l’aube du 31 octobre 1918. Son compère Klimt, pareillement atteint, décédé à 55 ans le 6 février 1918, quelques mois avant lui.

A voir.

Jean-Michel Basquiat – jusqu’au 21 janvier 2019 – Fondation Louis Vuitton Paris.

Jean-Michel Basquiat est l’autre exposition concomitante à celle d’Egon Schiele.  » Depuis l’âge de 17 ans, je rêvais de devenir une star. Je voulais être le premier noir reconnu par ce milieu de l’art« .

« Mon travail c’est à 80% de la colère ». J.M.Basquiat a rassemblé ses références : Cy Twombly, Warhol, Pollock, Picasso, le Vaudou, la Bible, bien d’autres… il a interprété l’histoire de l’art, des arts de son époque.

Florilège. Il y a une logique de l’immédiat, une rage de peindre. Une frénésie semble s’être emparée de l’artiste. Les premiers tableaux : trois têtes datées de 1981, 1982, 1983 sont à la fois masques, visages et crânes, ce qu’en peinture on appelle des vanités. Tant de fureur, tant de révolte qui explose au regard. Tête martyrisée d’un homme noir marquée par la souffrance alors que les yeux brillent d’une tension palpable. Une deuxième suturée et douloureuse est particulièrement imposante. La troisième évoque le crâne fracassé. Le tout dans une explosion de couleurs. Plus loin, d’immenses tableaux en référence à Cy Twombly : griffures, ratures, écritures. Ces « Gribouillages » ou des listes de mots peints se lisent comme des textes alchimiques ou historiques. Basquiat est un créateur de listes au point où celles-ci deviennent des matériaux propres à faire rentrer le monde entier dans ses tableaux. Ici, un mur de têtes qui témoignent du lien entre le premier graffiti et ses peintures (les contours affirmés et la vivacité des couleurs rendent compte de la fascination qu’a eu l’artiste pour l’anatomie apprise dans Gray’s Anatomy).

Athlètes, musiciens (Bird), combattants (Joe Louis, Cassius Clay), la plupart sont noirs. Les corps sont célébrés par la puissance des peintures et des proportions anatomiques. Corps aux postures belliqueuses, auréolés de couronne christique. Les armes sont omniprésentes : lances, épées, battes de baseball, balais, ailes d’ange… Basquiat dépeint la condition et la révolte de l’homme noir dans la lutte contre l’oppression.

Toujours plus d’aisance dans ces « visages-masques » noirs qui évoquent un cri : celui de la musique, le Be Bop de Charly Parker « Bird » ; cri chanté de l’injustice, du racisme et du vague à l’âme, de ce chant venu du Mississippi et l’affirmation de musiciens noirs se considérants comme des artistes. L’une des toiles « Slave Auction » est marquée par le sceau du roi des jazzmen PRKR, sans les voyelles, revêtu des habits des jazzmen de la New Orléans. La couronne d’épines symbolise le sacrifice du peuple noir, dont il est l’un des descendants. Il fait un mix de cette culture de l’art occidental avec l’art africain qui est, pour lui, l’une des grandes sources de l’art moderne. Beaucoup de masques noirs, éléments majeurs dans ses œuvres, ses figures. Ses thèmes apparaissent avec de plus en plus d’intensité, de vivacité, de finesse.

Jean-Michel Basquiat pense sous le signe du grand, il densifie et agrandit le dérisoire; les tableaux sont immenses avec une profusion de signes (difficile pour un profane d’y comprendre quelque chose). Ses dernières œuvres sont faites sous l’emprise de là drogue, la cocaïne a cédé la place à l’héroïne. Ainsi se sent-il en connivence avec ce qui le dépasse. Peut-être se sent-il habité par quelque créature mythologique et facétieuse qui aurait élu domicile dans ce corps de noir. Les cadences chthoniennes ont dû entrer en scène.

L’exposition se termine avec  » Riding with Death » de 1988, comme une prémonition.

Basquiat appartient à New York, source d’énergie et d’inspiration.
Avec son ami Al Diaz, graffeur comme lui, il couvre Manhattan de graffitis qu’il signe SAMO©: Same old shit : la même vielle merde ou, rien de neuf. Cet acronyme est donc une abréviation caricaturale qui s’en prend à l’hypocrisie d’une société exclusivement matérialiste. Plein de révolte, de fureur, il dénonce le racisme et les violences policières.

A 18 ans il quitte le domicile familial. Il squatte le domicile d’un artiste britannique Stan Peskett et découvre un melting-pots de personnages extravagants : David Bowie, Iggy Pop, Sid Vicious, Madona et surtout Andy Warhol, qui sera La rencontre déterminante ; il cherchait un père de substitution.

J.M.Basquiat était très instruit de l’histoire de l’art. Il adorait Pollock, Picasso, Braque. Son influence est du côté de Rauschenberg (collage de matériaux et d’éléments contradictoires – ces éléments hétérogènes qui en font comme un rebut).

Jean Michel Basquiat naît juste avant Noël, le 22 décembre 1960, dans une famille de la petite bourgeoisie de Brooklyn d’un père d’origine haïtienne et d’une mère de parents portoricains. Il est mort d’une overdose, le 12 août 1988 à New York (âgé de 28 ans, sa période artistique se déroula sur ses dix dernières années de vie, à l’instar d’Egon Schiele).

Puissamment expressives et complexes dans leur construction intellectuelle, ses peintures fascinent. En un peu moins d’une décennie, il réalisera une œuvre picturale et graphique intense. Son œuvre est intemporelle.

A voir également. Deux expositions remarquables en tout point. Seul bémol : « On se croirait dans le RER D aux heures de pointe » est-il écrit sur le livre d’or de l’exposition.

André Michel Pouly

 

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