« LA LETTRE À HELGA » : FENTES DE VIE

CRITIQUE. “La Lettre à Helga” – adaptation théâtrale du roman éponyme de Bergsveinn Birgisson, traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson, mis en scène par Claude Bonin, interprété par Roland Depauw – Au théâtre de l’Epée de Bois, jusqu’au 22 décembre, du lundi au vendredi à 20h30, le samedi à 16h et 20h30.

« Au crépuscule de sa vie, le vieux Bjarni Gíslason répond enfin à la lettre d’Helga, adressée il y a si longtemps et l’invitant à la rejoindre à Reykjavík. Partager enfin cet amour fou né dans la bergerie, un jour de palpation des moutons pour savoir lesquels passeraient l’hiver, loin des ragots sur cet amour extra-conjugal.

Bergsveinn Birgisson nous plonge au cœur de la paysannerie islandaise tout au long du XXe siècle. Une saga contemporaine faite d’hommes et de bêtes, d’amendement de cette terre âpre, d’économie où rien ne se perd, d’esprit coopératif, de culture forgée au fil des siècles et des travaux dont l’abandon signerait sa perte irrémédiable.

Le formidable cri d’amour d’un vieil éleveur de moutons ».

Bergsveinn Birgisson écrit en 2010 un naufrage de montagne qui connait jusqu’en France un succès critique et populaire, et dont la traduction de Catherine Eyjolfsson fut couronnée en 2015 par le Prix du Meilleur Roman des lecteurs du Point. Ce roman, -est-il épistolaire ?- est un éboulement d’âme au roulis lumineux.

Récit des violences de la chair, « La Lettre à Helga » est un long poème à la rusticité rocailleuse, un dire presque mésolithique ; comme si tout était resté vierge, là-haut en Islande.

Roland Depauw compose un Bjarni Gíslason ajouré des stries où la lumière passe et où la vie se passe : « si la vie est quelque part, ce doit être dans les fentes ». L’adaptation théâtrale de Claude Bonin creuse sans merci les interstices jusqu’à abattre une à une les dernières cloisons qui filtrent cette lumière que fait le vrai quand il est bien terrien et plus près du ciel. Campé sur ses « vieilles jambes foutues », le comédien élève bas une voix dure au vibrato serré, à la rocaille discrète et profonde comme des saillies, une voix qui dit tout. Sur l’étrange musique de la pierre frottée contre la pierre par Nicolas Perrin, tantôt murmure, tantôt chuintement, plainte chuchotée l’une à l’autre, Depauw dit « le soleil » et « les larmes » comme il dirait « la pierre », avec ce tranchant de la roche dans le timbre.

Cette recherche de la mystérieuse rugosité îlienne se tisse sans complexité à la force mystérieuse des sons de Nicolas Perrin. Leur étrangeté ou leur « étrangèreté » approfondit le paganisme semi-chrétien de ce drôle d’esprit qui s’abîme dans sa vérité. Goethe disait qu’ »il n’est pas toujours nécessaire que le vrai s’incorpore » ; pourtant qu’il est beau, ce vrai, dans ce corps. A mesure que le souvenir s’érotise, le verbe taillé se fait comme la chair, se fait chair lui-même, jusqu’à l’obscénité -que doit la vieillesse à la pudeur ?

A la litanie concupiscente du vieillard se mêle la litanie plus sourde d’une autre nostalgie, d’une autre fidélité, d’un autre devoir de soi à soi : le devoir l’homme envers son sol natal. Comment concilier l’appel de la chair qui est aussi l’appel de l’âme, et le rappel de la pierre ? Comment faire concilier l’amour d’une femme et l’amour de la montagne, quand le fantôme de la ville, ce délire, son délire, se dessine comme un cauchemar dans le noir du vrai monde fantasmé derrière le monde ouvert du théâtre ? “Alors je me suis mis à pleurer, vieillard sénile que je suis, échoué entre deux protubérances en terre d’Islande, les Mamelons d’Helga”.

“La Lettre à Helga” est une lettre d’adieu aux Mamelons d’Helga. Mais, plus intimement, avec Nicolas Perrin, Roland Depauw et Claude Bonin filent la déclaration d’un amour infini à la montagne, gardienne d’âme, sauveuse d’âme, âme elle-même. A l’Epée de Bois, ils créent une percée poétique dans la pierre de l’âge.

Marguerite Dornier

avec une création sonore de Nicolas Perrin, une création vidéo de Valéry Faidherbe, et une création lumière de Vincent Houard

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