CRITIQUE. Présentation d’un moment du travail en résidence sur le texte « 63 regards » de Christophe Pellet – Mise en scène Mathieu Touzé, interprété par Yuming Hey – Le 01 Décembre 2018 au theâtre Transversal – Avignon.
C’est après avoir vécu un beau festival Off d’Avignon, alliant les éloges des critiques et du public pour son « Garçon d’Italie » joué au théâtre Transversal, que le metteur en scène Mathieu Touzé revient pour présenter aux spectateurs chanceux un « moment » du travail sur le texte « 63 regards » de Christophe Pellet. Il faut rendre grâce à Laetitia Mazzoleni, la directrice du théâtre Transversal, d’avoir proposé à Mathieu Touzé une semaine de résidence afin de travailler ce texte et de l’avoir convaincu de présenter un travail en chantier. Mais ce soir-là, nul chantier sur scène mais bel et bien un très beau moment de travail.
Forcément incomplet sur la forme, Mathieu Touzé et son comédien maintenant « presque fétiche » Yuming Hey ont livré cet instant magique de création et de recherche, cet espace où le temps semble comme suspendu au désir du metteur en scène qui tricote et détricote ses pensées et sa vision du texte et de la pièce.
« 63 regards » de Christophe Pellet est un texte à la fois étrange et limpide, d’une structure peu commune, il engage le metteur en scène à scinder les espaces afin d’en éclairer la lecture. Mais même si chacun a pu ce soir-là ressentir dans cette phase de travail le cheminement intellectuel du metteur en scène et de son comédien, soucieux de pas perdre le spectateur sans trop marquer le trait, la finesse des propositions et le jeu trouble et sensible de Yuming Hey dans le rôle d’Alice ont su bluffer le public.
Alice erre dans les rues, se jouant de ses pensées, les écartant ou les évitant, elle évoque le passé et glisse sur un autre terrain de jeu en une fraction de seconde, dialoguant avec le supposé auteur ou directement avec le public mais sans jamais voir directement ni l’un ni l’autre. Alice tente d’esquiver cet autre personnage, Moritz, ancien amant toujours présent dans ses pensées ou simple chimère et miroir de ses tourments. Le metteur en scène et le comédien ne donnent pas la clé mais évoquent des possibles, laissant les spectateurs songeurs et curieux.
Un très beau moment de création au théâtre Transversal qui prouve, sous la houlette de sa directrice, sa volonté de faire bouger ce lieu durant toute la saison, avec, en prime, un dialogue passionnant entre le metteur en scène, le comédien et le public directement sur scène à la fin du spectacle. Il ne reste qu’à espérer que Mathieu Touzé et Yuming Hey offriront très prochainement aux spectateurs cette belle proposition dans sa forme aboutie.
Pierre Salles