« SCENES DE VIOLENCES CONJUGALES », LE POUVOIR CATHARTIQUE DE LA PAROLE

CRITIQUE. « Scènes de violences conjugales » – Texte, mise en scène et scénographie : Gérard Watkins – Jeudi 29 novembre 2018 au Théâtre du Parvis Saint-Jean à Dijon.

Il est des titres de pièces qui enthousiasment ou piquent la curiosité. Certains ne donnent pas envie et d’autres embarrassent, voire effraient. Le titre « Scènes de violences conjugales » appartient à la dernière catégorie. Ces termes au pluriel inquiètent : le spectateur ne peut que s’interroger sur sa capacité à supporter un enchaînement, peut-être même un déferlement de violences. En effet, une multiplication de scènes permet toujours une exploration plus complète d’un thème ; mais avec un sujet aussi sensible, le risque était grand de franchir les limites du supportable. Avec ce titre, le spectateur est prévenu : il sera plongé au cœur de l’intime, dans des vies de couples et assistera aux actes barbares d’un homme à l’encontre d’une femme.

Liam et Rachida tombent amoureux l’un de l’autre. Liam est de milieu rural, défavorisé et vit de trafics de drogue. Rachida, d’origine maghrébine et musulmane mise beaucoup sur l’école pour prendre son envol et s’affirmer hors du cadre familial. Annie et Pascal s’éprennent également l’un de l’autre. Annie se débat pour retrouver un travail et un logement afin de récupérer ses enfants. Pascal, photographe, issu de milieu bourgeois, est pour la première fois confronté au chômage et à la précarité. Nous suivons le parcours de ces deux couples : leur rencontre, leur rapprochement, leurs moments de tendresse jusqu’au premier acte de violence et ses conséquences. Le décor est sobre : les comédiens évoluent sur une scène triangulaire, surplombée au fond, d’une plate-forme sur laquelle une musicienne joue de la batterie, et prolongée devant, par un rectangle nu qui fait office tantôt de lit, tantôt de table. Deux fauteuils et une table créent comme une passerelle entre la musicienne et l’espace dédié aux deux couples.

A la fin du spectacle, on se rend compte que ce pluriel qui pouvait inquiéter, est intelligemment exploité et fait sens. Il permet tout d’abord de montrer que les violences sont multiples : elles peuvent être verbales, physiques, psychologiques, sexuelles. Il souligne également, de manière très subtile, que même dans les moments d’accalmie, la violence est omniprésente et qu’elle revêt seulement des visages différents. Ce pluriel enfin, évite la caricature et la présentation simpliste des méchants bourreaux et des faibles victimes. En effet, ces deux duos, qui se transformeront en duels, sont très différents : ils sont d’une génération et d’une origine sociale différentes. De plus, ces deux femmes victimes se rejoignent dans leurs souffrances mais ont une personnalité différente et il en va de même pour les bourreaux : le premier est habité par une colère qui ne le quitte pas depuis qu’il a été battu, enfant, et il exige de Rachida qu’elle lui donne tout ce qu’il n’a jamais reçu. Le second, frustré, pervers, méconnaît Musset et a seulement retenu de la réplique de Perdican que « toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ». Il fait peu de cas d’elles et ne songe qu’à les dominer pour se venger de ses propres frustrations.

Le passage constant d’un couple à l’autre est toujours très fluide, notamment grâce à la musicienne qui unit le tout et crée une partition unique. Elle rejoint d’ailleurs les comédiens, le temps d’incarner la propriétaire d’un appartement que les deux couples convoitent. Elle joue également un rôle prépondérant dans certaines scènes où sa musique se mêle aux paroles ou aux gestes violents, comme pour nous faire entendre encore plus nettement la cruauté du bourreau et l’effondrement de la victime. La fluidité est enfin assurée par le jeu talentueux de ce quatuor bouleversant de vérité, de sincérité et admirable de justesse.

Dans la dernière partie du spectacle, Annie rompt l’illusion théâtrale en remerciant son partenaire d’avoir accepté de jouer le rôle de Pascal pour l’aider à digérer son traumatisme. Elle laisse ainsi entrevoir une issue de secours : le théâtre peut permettre une prise de conscience, une acceptation et peut-être même une distanciation, pour la simple et bonne raison qu’il est un espace d’expression. La réflexion ne s’arrête pas là : les comédiens vont venir successivement s’exprimer, après coup. Ce qui va se jouer alors, c’est une mise en abyme du pouvoir libérateur de la parole. Cette dernière partie nous montre que les mots, qu’ils se déploient dans un cadre judiciaire, théâtral, associatif ou médical, peuvent aider les victimes à se relever.

Le défi était grand : aborder un sujet grave, ne pas le minimiser, en montrer toute l’horreur sans pour autant donner à voir une brutalité insoutenable. Le résultat est bouleversant. Ces scènes de violences conjugales nous montrent, avec justesse et subtilité, comment des hommes deviennent bourreaux, comment des femmes peuvent ouvrir leur porte à des hommes toxiques, pourquoi elles peinent à la refermer, même une fois l’acte irréparable commis, mais elles nous laissent aussi entrevoir un espoir pour ces victimes, en clamant haut et fort le pouvoir cathartique de la parole.

Aurélie Gay

*Avec Hayet Darwich, Julie Denisse, David Gouhier, Maxime Lévêque, Yuko Oshima. Musique : Yuko Oshima. Création lumières : Anne Vaglio. Régie générale : Marie Grange. Régie lumières : Julie Bardin.

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