QUAND POESIE ET MUSIQUE SYMPHONIQUE SE RENCONTRENT : RABAH MEHDAOUI AVEC l’ORAP

CRITIQUE. Musique et Poésie – Poèmes récités par Rabah Mehdaoui – Orchestre Régional Avignon-Provence sous la direction de Samuel Jean – Mise en espace : Alain Timár – Spectacle donné les 22 et 23 novembre 2018 au Théâtre des Halles à Avignon

« Musique et Poésie » !

C’est une belle histoire de rencontres : rencontre d’arts, rencontre d’hommes, rencontre de publics…

Tout a commencé lors d’un Festival d’Avignon par une rencontre de rue entre Philippe Grison, directeur de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, et Rabah Mehdaoui, passeur de mots qui déclame des poèmes aux terrasses de restaurants et de cafés pendant le Festival. Cet improbable et magnifique projet de rencontre entre le monde symphonique et la poésie de rue ne pouvait laisser indifférent Alain Timár qui apporte ici ses talents de directeur d’acteurs et qui accueille pour la première fois un orchestre symphonique sur le plateau du Théâtre des Halles. Ce choix de scène ne doit rien au hasard et apparaît comme une suite logique à la collaboration féconde entre Philippe Grison, Samuel Jean et Alain Timár initiée lors de la mise en scène par ce dernier de l’opéra de Francis Poulenc « Dialogues des carmélites » à l’Opéra Grand Avignon. Là encore, rencontre d’artistes entre le théâtre contemporain, l’opéra et l’univers symphonique, souvent distants et ignorés l’un de l’autre. Une rencontre que Samuel Jean qualifie de magnifique.

D’emblée Rabah Mehdaoui, avec sa voix profonde et le regard lointain du poète, nous offre ses mots dans un moment de partage avec le public. Les mots des poètes deviennent les siens tant il se les approprie avec talent, tant il les vit avec son corps et son âme. « Le cancre » de Jacques Prévert nous laisse imaginer le visage du bonheur qu’il dessine sur le tableau noir. « L’Etranger » de Baudelaire nous immerge dans un rêve lointain et l’on est encore sous l’émotion du dernier vers — J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! — quand l’orchestre enchaîne par « Pavane et Saltarelle », un petit bijou musical de Gabriel Pernié, qui, bien que non figuratif, évoque immanquablement pour l’oreille encore imprégnée de poésie le lent cheminement des nuages dans le ciel.

Rabah Mehdaoui nous transmet avec émotion des poèmes de Jacques Prévert, Charles Baudelaire, Benjamin Fondane, Victor Hugo et Mahmoud Darwich. Poèmes classiques et gravés dans nos mémoires pour la plupart relayés par des musiques de compositeurs comme Anton Webern, Igor Stravinsky ou Dimitri Chostakovitch au travers d’opus originaux, choisis par Samuel Jean, qui constituent souvent une découverte pour le mélomane et qui sont tous d’une grande teneur poétique en parfaite harmonie avec les poèmes qu’ils ponctuent.

Ce remarquable moment de rencontre entre la musique, le théâtre et la poésie était en entrée libre, offert par des artistes soucieux de promouvoir les rencontres et l’Art dans la cité. Un exemple à suivre dans une ville riche de nombreux pôles culturels souvent un peu repliés sur eux-mêmes.

Dans un tout autre registre, il faut souligner que ce spectacle était l’occasion de tester une petite révolution dans le monde de l’orchestre qui ne reste pas à l’abri de la révolution numérique. En effet, le matin même, Philippe Grison, Samuel Jean et les représentants de « Newzik » (solution collaborative de lecture musicale) ont tenu une conférence de presse au Théâtre des Halles pour présenter les nombreux atouts de ce dispositif de lecture de partitions sur iPad ainsi que les intentions de l’Orchestre Régional Avignon-Provence qui paraît séduit et qui souhaite tenir un rôle de « pionnier » dans ce domaine. On peut citer entre autres un encombrement réduit, un changement de page par pédale et surtout, au travers d’une communication informatique, la possibilité de porter sur les partitions des annotations individuelles ou collectives, de préciser en temps réel les coups d’archet et les instructions du chef, de favoriser ainsi la communication lors des répétitions ainsi que la qualité et l’homogénéité de l’exécution.

Ce progrès technologique n’est peut-être pas si anodin que cela sur le plan artistique. Même si le charme du froissement des pages que l’on tourne et si les cailloux et autres épingles à linge destinés à tenir les partitions les jours de Mistral disparaissent, ce qui n’est pas fait pour déplaire aux musiciens, il en résulte une vision différente de l’orchestre et une nouvelle liberté pour les musiciens. Sur le plan visuel l’orchestre est plus « transparent », les musiciens plus accessibles vis-à-vis de leur chef et au regard du public lors des concerts. Inversement, la suppression des lumières d’éclairage des partitions rend l’orchestre plus discret dans les fosses d’orchestre, qui plus est quand il n’y a pas de fosse comme au Théâtre antique d’Orange ou dans d’autres lieux de festivals d’été. Des metteurs en scène avisés pourraient sans doute mettre à profit ce nouvel environnement et développer une nouvelle vision artistique de l’orchestre.

Attendons de voir la suite !

Jean-Louis Blanc

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