« VORTEX TEMPORUM », L’ETERNELLE RITOURNELLE DU TEMPS

CRITIQUE. Anne Teresa De Keersmaeker « Vortex Temporum » à la MC93 du 22 au 24 novembre 2018.

En arrivant dans la grande salle de la MC93, nous accueille un plateau sobre avec un beau piano steinway en avant-scène côté jardin et cinq chaises disposées au centre en demi-cercle. Au sol, sont dessinés à la craie des cercles concentriques; on reconnaît l’espace géométrique, si cher à Anne Teresa De Keersmaeker, figure majeure de la danse contemporaine à l’honneur pour le Festival d’Automne, avec onze de ses pièces proposées dans plusieurs établissements culturels de Paris.

Vortex Temporum reprend le titre de l’oeuvre testimoniale de Gérard Grisez, compositeur français contemporain initiateur du courant de la musique spectrale. Son oeuvre, créé deux ans avant sa mort (1996), va servir de base à la pièce prometteuse qui s’offre à nous. Selon Anne Teresa De Keersmaeker, la partition de Grisez « Vortex Temporum délivre une musique singulière : à la fois brute et raffinée, rigoureusement structurée et habitée par quelque chose d’organique, de sauvage et de primaire. » Vortex Temporum, créé en 2013 par la chorégraphe belge, se situe dans la période de ses pièces plus récentes, période caractérisée par un dépouillement de ses oeuvres qui permet de mettre en valeur la singularité de son travail qui explore avec exigence et intelligence le rapport complexe entre danse et musique. Ses chorégraphies répondent à des modèles mathématiques qui permettent aux corps de se déployer dans l’espace et le temps avec une extrême précision et finesse.

La pièce se découpe en trois séquences : la musicalité, le geste et la rencontre de l’univers musical avec celui du mouvement. On commence avec la partie musicale ; les six musiciens entrent et se placent. Ils attaquent sans préambule les harmonies premières. Violoniste, flûtiste, chacun, à son tour, surprend par un sursaut ou une échappée musicale. Puis, les musiciens partent, et reste, seul en scène, le pianiste qui s’envole dans des univers sonores lointains composés de ruptures et d’harmonies. Brusquement, il s’arrête et s’enfuit. Les six danseurs entrent et enlèvent les chaises, prenant la place des musiciens. En silence, ils se meuvent dans l’espace dans une chorégraphie parfaitement millimétrée, avec des gestes à la fois libres et libérés. Leurs mouvements sont précis, leurs gestes sont délicats et fermes. Un corps se tend, l’autre se cabre. Une rotation de buste par-ci, un saut de jambes par-là.

Tous les danseurs sont habillés en noir, et, dans le silence de la nuit, seul le scrouitch des baskets sur le sol résonne dans la salle. Les danseurs s’évaporent, reste le dernier danseur qui va proposer un solo d’une précision implacable. Revient le pianiste qui récupère son poste, même si le danseur va prendre la place du musicien pour un court instant afin de déferler avec rage ses pulsations du mouvement. Il gardera pourtant son statut de danseur qui s’exprime par le geste, et non de musicien.

C’est alors que débute la troisième séquence où se rencontrent musique et danse. Chaque danseur est lié à un musicien, les corps se répondent. Et tout le monde suit la montre du temps qui les fait tourner en rythme sur le plateau. Mouvement et partition sont intimement intriqués. La chorégraphie de Anne Teresa De Keersmaeker suit minutieusement la partition musicale en créant son imaginaire propre. On peut admirer la tension suspendue des corps à l’écoute du moindre sursaut musical – entre retenue et libération. Cette chorégraphie faisant appel à notre émotion intellectuelle et organique nous emporte dans le tourbillon du temps, de la vie. La répétition apporte toujours une légère variation, telle l’éternelle ritournelle du temps.

Anouk Luthier

Photo Anne Van Aerschot

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s