CRITIQUE. « Tartiufas » d’aprés Molière – Mise en scène : Oskaras Koršunovas – NEXT Festival, Villeneuve-d’Ascq du 20 au 22 novembre 2018 – Durée : 1h50.
Dans la noirceur avignonnaise de cette édition du Festival (le 72e Festival d’Avignon, où fut représentée cette pièce en juillet dernier NDLR), le metteur en scène Oskaras Koršunovas détonnait avec son adaptation fluo et trash du Tartuffe de Molière. Ici point de dévot mais plutôt un politicien malin et populiste qui va tout prendre à Orgon. Scénographie efficace avec ce labyrinthe de verdure représentant la maison d’Orgon sur un plan incliné, tout devient alors très visible et permet un jeu de cache-cache entre acteurs souvent très drôle. Comme il est de mise dans ce festival, le metteur en scène cède à l’utilisation de la vidéo, mais ici de façon bien plus raisonnable. Le principe reste toutefois le même : montrer ce qu’on avait l’habitude d’imaginer au théâtre, comme s’il fallait, comme au cinéma ou la télé, prémâcher l’imagination des spectateurs devenus trop fainéants. Enfin soit ! Oskaras Koršunovas nous livre ici un Tartuffe à l’accent populiste, suivant ce courant à la mode qui déferle en Europe. Il fait tout pour convaincre et use de toutes les ruses, comme ce pelotage en règle des Orgon, homme et femme. Idée « géniale » qui culmine quand il embrasse goulument Orgon qui se laisse faire, comme hypnotisé.
Une partie du public est séduit, mais est-il séduit par la pièce et sa mise en scène ou par un jeu somme toute aussi populiste que le sujet principal ? Tout est là pour nous attraper dans les filets du metteur en scène. Le public rigole assez facilement de quelques mots lâchés en français à l’adresse du public, de ces facéties potaches et autres gags ou de cette Elmire toute en rondeur, moulée dans une robe rouge dans une composition genre Marylin Monroe de la bourgeoisie russe, sexy et vulgaire. Un Orgon qui rappelle évidement ces hommes politiques de l’Europe de l’est avec petit bedon et costume étriqué, qui, la bave aux coins des lèvres, ne rêvent que de pouvoir facile et d’élections gagnées. L’ensemble des comédiens est d’ailleurs formidable, chacun s’attachant à offrir une partition déjantée et impeccable dans le rythme.
Excellente option que d’avoir su délivrer Tartuffe de son sujet principal et de le détourner vers une pure politique politicienne mais pourquoi donc ? Ne sont-ils pas toujours là ceux qui, couverts de religion écrasent et volent les hommes ? La laïcité est-elle devenue à ce point honteuse et la religion à ce point taboue pour que l’on doive travestir Tartuffe en un politicien véreux et non en représentant tout aussi véreux d’une quelconque religion ? Dans une Europe chaotique, sans vision, on ne peut que comprendre le désir d’Oskaras Koršunovas de dénoncer ces tyrans en herbe qui ne demandent qu’à pousser sur le fumier d’une Europe en décomposition, mais pas de cette manière ! Pourquoi ne pas servir le texte qui se comprend par lui-même et qui, dans sa forme initiale, sied merveilleusement à l’époque et à ses faux prêcheurs, vrais populistes des religions ?
En somme, une bonne idée mais simplement un peu vaine et inutile tant le texte de Molière reste lui aussi tragiquement actuel. Le recours à Molière semble un prétexte pour se donner bonne conscience, n’importe quelle pièce de bas étage aurait permis de mettre en œuvre cette mise en scène déjantée, souvent à la limite du potache et du gag facile. Une tartufferie qui, telle une mauvaise pâtisserie, a de belles couleurs, un bel aspect, mais qui devient vite écœurante et qui ne restera pas dans les mémoires.
Pierre Salles
Vu au 72e Festival d’Avignon