CRITIQUE. « PAS PLEURER », d’après le roman de Lydie Salvayre, adaptation et mise en scène : Denis Laujol ; avec la comédienne Marie-Aurore d’Awans et la musicienne Malena Sardi – Théâtre de Poche, à Bruxelles. Reprise : jusqu’au 24/11/18.
L’histoire / le livre : Montse a 90 ans. Sa mémoire s’épuise et entre dans l’univers de l’oubli. Sauf, pour l’été 1936. Elle est alors âgée de 15 ans et vit dans un village rural de la Haute Catalogne. Jeune, mais l’esprit rebelle, elle refuse d’être traitée comme une « mauvaise pauvre », rejetant ainsi un poste de bonne, devant sa mère angoissée et presque soumise à la dure réalité de l’époque. Montse est loin d’imaginer les changements qui vont se produire ce même été : la guerre civile espagnole. Elle est candide, pleine de joie, de rêves aussi. Sa conscience politique sera révélée, notamment au contact de son frère Josep. Camps rivaux, anarchisme, communisme, fascisme : les familles vont s’entredéchirer, le chaos fera partie de la vie. Franco montera au pouvoir, imposant la dictature et la terreur. Entre l’espoir et l’amour s’immiscera la guerre et son lot d’atrocités, l’horreur, la fuite, l’immigration en France avec son enfant de deux ans : Lydie.
Lydie Salvayre, témoin des récit incroyablement précis de sa mère, méconnu jusque là. Elle l’écoutera et couchera sur les pages blanches cette histoire vraie et surprenante, belle de par l’émotion qu’elle dégage. Elle y raconte, à travers deux voix entrelacées, celle de Georges Bernanos et celle de sa mère Montse, le vécu de cette dernière. Sa mère qui redevient l’âme et l’esprit de cette jeune adolescente de 1936. Bernanos, lui, témoin de la guerre civile espagnole, changera d’opinion politique et écrira « Les Grands cimetières sous la lune », un pamphlet qui fera scandale en dénonçant les atrocités perpétrées par les nationalistes avec la bénédiction de l’Eglise. Deux visions que Salvayre narre avec élégance, légèreté, émotion, mais aussi rage et terriblement éclairant.
« PAS PLEURER » est un roman de Lydie Salvayre, Prix Goncourt 2014. L’histoire de Montse, bien sûr, mais également celle d’une famille, de tant de familles traversée par la tragédie. Impossible de ne pas faire le lien avec l’actualité. La Syrie, entre autres, et bien des aspects des conséquences de la crise (à tous les niveaux) qui sévit depuis 2008 partout en Europe et dans le monde, nous rappelant, ô et combien nous vivons une époque dangereuse. Pour ne pas oublier, pour ne pas recommencer : comprendre, lire, penser, se souvenir. Et pourquoi pas relire ou découvrir le roman « PAS PLEURER”.
En attendant, allez voir la pièce ! Et pour cause : La mise en scène de Denis Laujol et l’excellente interprétation de la comédienne Marie-Aurore d’Awans accompagnée de la musicienne Malena Sardi, vaut largement le détour.
Une mise en scène toute en simplicité mais qui marque les esprits c’est sûr. Seule devant son micro, Marie-Aurore, d’origine catalane, raconte la discussion entre Lydie et sa mère Montse, atteinte d’Alzheimer. Elle interprète une partie de l’histoire, ce très beau roman en français mais également en espagnol, en français et en fragnol, langue issue de l’immigration espagnole. Langue “hybride” apparue dans les années cinquante.
Derrière la comédienne un écran dont le graphisme et les couleurs s’accompagnent de l’archet et la guitare électrique de Sardi. Et puis la voix Off de Bernanos, dont seule une petite partie du roman est extraite par Daujol. Pour ce talentueux metteur en scène, cette partie apporte au récit “un contrepoint terriblement sombre au récit lumineux de Montse”.
Daujol est particulièrement touché par “les questions sur l’engagement politique” du roman et a donc travaillé principalement la première partie. Engagé ? Il essaie de “remettre au goût du jour la pensée anarchiste”. Pour d’Awans, sa compagne, le lien entre le “spectacle et la plateforme citoyenne deux euros cinquante “ est évidente. Elle souligne l’évidence qu’aujourd’hui “la perception que nous avons de l’autre est tronquée par le repli identitaire, la peur”.
Marie-Aurore d’Awans sur scène, on ne demande qu’á suivre !
j’y vais !
Julia Garlito Y Romo