JEAN-LUC GODARD , « LE LIVRE D’IMAGE » : DANSONS MAINTENANT, JUSQU’A LA CHUTE

CRITIQUE. « Le livre d’image », un film de Jean-Luc Godard, assisté de Fabrice Aragno et Jean-Paul Battaggia. Archéologie : Nicole Brenez – Projection au théâtre de Vidy, Lausanne, du 16 au 30 novembre 2018.

Vous nous invitez dans votre intérieur, merci. Evidemment, on en sort sonné, le moins qu’on puisse dire, c’est que vous nous avez ébranlé. La séance terminée, malgré ce décor méticuleusement élaboré pour que nous nous sentions confortables, nous sommes soulagés. Soulagés de ne plus être exposés à cette violence, à cette fureur, celle qui pourtant, règne assourdie au centre de notre quotidien. Les tapis d’Orient confortables et rassurants, qui recouvrent le sol, ceux que l’on rencontre dans toute bonne maison bourgeoise, sont plissés, disposés pour nous faire trébucher. Le malaise que vous avez créé en nous, nous désirons l’oublier, comme on le fait des actualités télévisées, des articles des journaux, des documentaires alarmistes.

Mais voilà, on ne se débarrasse pas aussi facilement de l’art. La forme cinématographique que vous avez inventée est prégnante. Vos images ne font qu’évoquer, elles ne démontrent pas. Votre voix ne fait que suggérer, elle n’explicite pas. C’est ce qui déclenche la pensée. Et l’éclat fracassant des bombes à nos oreilles est si proche… Tel un Goya contemporain, vous nous exposez à la laideur en la magnifiant. Votre oeuvre chuchotée est un poème hurlé à nos consciences éteintes. Même les couleurs sauvages et fauves dont vous avez peint votre film sont tonitruantes. Ces bribes de notre monde, issues du cinéma, d’internet, de la télévision, brossent un tableau violent qui nous agresse et nous remue. Il est parcouru de fulgurantes beautés et d’une Arabie heureuse. Vous l’avez créé consciencieusement, y instillant votre art, louvoyant d’ellipses en éclairages, de documents en fictions, vous, Jean-Luc Godard, créateur incompris par un public gavé d’images où se mélangent futilité et écrasante réalité.

Oui, Bécassine se tait, faut-il vraiment que les maîtres du monde s’en méfient ? Comment se frayer un passage dans cette foule dense et sévère refusant de « Laissez passer » ceux qui la dérangent, qu’ils soient clairvoyants ou ravagés. Une foule où chacun rêve d’être roi plutôt qu’un Faust visionnaire, exposé aux questions inconfortables. Vous lui offrez ces fragments d’authenticité comme un cadeau qu’elle aimerait ignorer, trop occupée à son égoïste et aveugle tâche. Vous parlez « d’espérance immuable » et cela vous fait tousser. Alors dansons maintenant. Jusqu’à la chute. Inéluctable ?

« (…) On dirait un mauvais rêve écrit dans une nuit d’orage
Sous les yeux de l’occident
Les paradis perdus
La guerre est là
… » -Jean-Luc Godard

Culturieuse,
à Lausanne

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