« Qui a peur d’Hamlet ? » de Magali Tosato – Avec Alain Borek, Claire Deutsch, Baptiste Gilliéron, Tamaïti Torlasco – Au théâtre de Vidy, Lausanne du 9 au 17 novembre 2018.
Si vous connaissez peu la pièce, il vaut mieux en lire un résumé avant ! D’ailleurs, l’assistance est invitée à fermer les yeux et à se replonger préalablement dans l’évocation de ce texte. Pour faire court, Hamlet, prince du royaume du Danemark, apprend par le spectre de son père récemment décédé, qu’il a été assassiné par son frère Claudius, qui lui a succédé sur le trône. Lequel vient tout juste d’épouser la veuve, mère d’Hamlet. Ce dernier, rongé d’incertitudes, tourmenté jusqu’à la folie, va finir par vouloir se venger de son oncle.
C’est à un banquet royal que les spectateurs sont invités à participer. Une longue table recouverte d’une nappe blanche divise la salle. Des sièges d’apparat disposés de part et d’autre nous accueillent. Les quatre angles sont occupés par des contreforts de maçonnerie surélevés. L’ambiance est lourde, appuyée d’un angoissant tempo sonore. Quels sont ces limiers suspicieux habillés de gilets pare-balles, munis de torches électriques, qui rôdent et nous dévisagent ? « Qu’avez-vous vu? Quelque chose à signaler ?« .
Trois des comédiens, grâce à d’astucieux accessoires (perruque, col ou veste), vont interpréter chacun deux personnages. Hamlet, en habit noir et culotte courte, demeurera lui-même, pourtant dédoublé par sa folie. La table et les contreforts sont utilisés en tant que scènes, la lumière dirigeant l’attention du spectateur. Des néons centraux, quelquefois clignotants, soulignent les passages dramatiques ou éclairent l’ensemble. La musique appuie le propos.
Mais qui est le meurtrier du roi du Danemark, père d’Hamlet ? A bien y réfléchir, Claudius, oncle d’Hamlet et nouveau roi, est-il le seul à avoir un mobile? Faut-il croire Hamlet? N’a-t-il pas été le sujet d’une hallucination lorsqu’il rencontre le spectre de son père ? Serait-il possible que le véritable assassin coure toujours? C’est la question posée à l’assistance, une occasion pour elle de prendre la parole. Les comédiens, tous quatre virtuoses, improvisent avec les interpellations du public et suggèrent même les thèses de certains critiques, comme celle de Pierre Bayard qui affirme que toute lecture de texte est subjective, et donc sujette à interprétation personnelle.
Avec humour et brio, la mise en scène mêle le texte de Shakespeare avec ceux de Bernard-Marie Koltès et d’Heiner Müller, tout en y instillant les propositions contemporaines des comédiens. La pantomime présentée par Hamlet pour confondre son oncle se change en projection réjouissante d’un film drôlatique intitulé « The Mouse Trap ». L’Ophélie d’Heiner Müller laisse exploser sa rage avant de se laisser revêtir de la robe rose de la bonne fille Shakespearienne de son père. Hamlet se montre un psychopathe accompli. On s’interroge devant l’ambiguïté de Gertrude, mère écartelée entre la souffrance de son fils et son devoir de reine. Polonius, l’enquêteur, se démène avec ardeur pour démêler le vrai du faux de la folie d’Hamlet, puis se change en un malheureux mais farouche Laërte.
C’est donc un Hamlet à la portée de toutes et tous qui nous est proposé : une tragédie humaine séculaire empreinte de la nuance contemporaine qui nous en rapproche, tout cela saupoudré d’humour et de connivence avec l’assistance. Et une épatante scénographie.
Biographie (citation du théâtre): Née en 1988, Magali Tosato se forme en histoire et en littérature française à l’Université de Lausanne. Elle passe un an au Conservatoire de Genève avant de rejoindre la Haute école de théâtre Ernst Busch de Berlin où elle étudie la mise en scène. Durant cette période, elle met en scène notamment « La Mission » de Heiner Müller en 2013, « I love Italy and Italy loves me » en 2014. De retour à Lausanne, elle fonde la compagnie mikro-kit. Grâce à la Bourse de compagnonnage théâtral du Canton de Vaud et de la Ville de Lausanne et à l’accompagnement de Vidy pour la relève, elle a créé une mise en scène de « Hamlet » dans les salles de classe de la région, puis « Home-Made » en 2016 – interrogeant le lien des enfants à leur mère et à leur pays – et « Amour/Luxe » en 2017 sur l’amour dans le regard de la loi sur l’immigration. Elle a également été l’assistante de Stefan Kaegi pour la création de « Nachlass » à l’automne 2016.
Culturieuse