« DE LA MAISON DES MORTS » : DOSTOIEVSKI, JANÁČEK, LES BEATLES ET LE THEÂTRE DE LA MONNAIE

CRITIQUE. « De la Maison des Morts / Z Mrtveho domu » – Opéra de Leoš Janáček d’après Dostoievski – Mise en scène Krzysztof Warlikovski – Direction musicale Michael Boder – durée 1h40 – Du 6 au 17 novembre 2018 – La Monnaie-De Munt, Bruxelles.

Le théâtre de la Monnaie a un lien particulier avec l’univers carcéral puisqu’il emmène ses musiciens à interpréter des œuvres classiques dans les maisons d’arrêts et les quartiers de haute sécurité. C’est la raison, peut être, pour laquelle la prison se retrouve présente au cœur de deux créations de cette saison : « Zauberflöte » mise en scène Roméo Castellucci et plus récemment “Z Mrtveho domu” la maison des morts de Leoš Janáček, mise scène par Krzysztof Warlikovski.

La musique de Janacek est écrite comme un chaos, à densité variable et livrée tout d’un bloc. La réception de cette musique, la façon dont on l’appréhende et dont on peut en jouir demande concentration, attention, ouverture. La musique de Janacek est comme une femme jalouse, elle vous suspend au bord d’un gouffre semble vous précipiter dans l’abîme pour mieux vous porter aux nues. Elle vous bouscule et vous happe et vous jette, vous enveloppe et vous transperce à la fois, vous fait emprunter des transversales auditives, des plongeons fulgurants, ne vous laissant pas ou peu de répit pour recevoir une narration, jouir d’une histoire, puisque vous êtes déjà très occupé à recevoir ce qui vous est magistralement exécuté et offert par l’orchestre et les chœurs du Théâtre de la Monnaie, conduits avec virtuosité, endurance et maîtrise incomparable par Michael Boder, dont le visage laisse à penser qu’il n’y a pas eu que des chemins parsemés de pétales de roses dans sa propre vie.

Alors, à Covent garden où à été créé le spectacle, mettre en scène une musique si intense et si exclusive, agrémentée d’un livret aux intonations slaves, d’une poésie sombre, où chaque mot prend valeur d’image, comment procède t’on?

Le metteur en scène Krzysztof Warlikovski a choisi de figurer l’appareil judiciaire au sein de cet espace carcéral qu’est devenu le plateau, par un grand container vitré ou opacifié en fonction des scènes, posé sur pivots et roulettes, traversant l’espace de bout en bout et pivotant comme par effraction pour y chercher des justiciables et les recracher leur affaires examinées et faites. Sorte de cage dans la cage de scène.

Krzysztof Warlikovski a choisi de s’éloigner de l’oeuvre de Dostoievski, dont est inspirée l’opéra, cherchant à évacuer une époque pour en proposer une autre, faite d’un univers presque pop dans les couleurs et les costumes : paillettes, grosses poupées potelées blanches et rouges, masques étranges et ambigus.

Pour mieux réactualiser le propos et replonger dans un univers carcéral concret, des vidéos mettant en jeu des prisonniers sont projetées sur le coupe feu du rideau de scène argenté qui tombe de temps à autres.

Les bas-fonds sont là. Qui y dégringole n’en sortira pas si facilement, et les acrobates noirs et athlétiques luisant de tous leurs muscles et dansant le Krump, danse issue des rituels de combat africains et du hip-hop, les chanteurs, les figurants et les chœurs, occupent la scène presque de bout en bout du spectacle, dans une promiscuité toute carcérale, qui forme un magma tragique et coloré.

Donc cette prison pourrait avoir, rien qu’à l’oeil nu, un petit côté rock and roll, Alice Cooper n’y dépareillerait pas.

Mais la musique de Janacek, les voix des chanteurs traversés par le désespoirs, le drame qui sourd à chaque détour du texte et de l’action enlève tout côté festif à cette vision hétéroclite qui en devient presque uniforme par trop de diversité. Réquisitoire brûlant contre l’inhumanité de l’univers carcéral, transmis par une musique d’une force inouïe, qui traverse de sa puissance toutes les images proposées sur le plateau, l’oeuvre de Janacek dépasse le costume trop étroit, bien que câatoyant, dont on veut l’affubler et, du coup, l’importance que l’on ait à faire visuellement à Dostoïevski ou aux Rolling Stones, passe au deuxième plan.

Parfois l’excès de moyens dessert, la musique de Janacek tellement chargée et riche est finalement peu servie par une redondance de moyens et d’effets.

De même que la musique, la présence humaine requiert sur scène une disponibilité particulière de la part de ceux qui reçoivent le spectacle. La sensibilité et la présence dramatique des chanteurs, est noyée dans cette accumulation de signes. Mêmes si leur voix rendue paroxystique par la musique, émerge douloureusement.

Pourtant, effectuant ce sublime grand écart entre le sordide et le merveilleux, l’oeuvre de Janacek ainsi exécutée, livre une vision du monde carcéral, où « dans chaque être brille une étincelle divine« , où dans tout criminel jeté en prison subsiste un homme en souffrance encore capable d’humanité, de désirs et d’amour, et rappelle que le destin curieux et aveugle est capable de faire vivre à chacun inopinément ce genre d’épreuve.

Les moulures du théâtre de la Monnaie n’ont pas besoin de dégouliner d’or pour que ses spectacles nous touchent et nous plaisent. Et même si l’opéra amène à un déploiement de prouesses techniques en terme de scénographie, de costumes et d’accessoires, peut être que l’opéra de Janacek eut été mieux servi par une mise en scène plus épurée.

En ce soir de première festif, même si la traversée d’un bord à l’autre de “La maison des morts” fut rude quoique scintillante, le théâtre de la Monnaie, lui aussi brillait de mille feux, dans une allégresse partagée portant haut l’exigence du travail bien fait dont on sent que toute l’équipe, jusqu’à la dame du vestiaire, est investie.

Claire Denieul
vu le 06/11/2018 à Bruxelles

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