CRITIQUE. » La voix humaine « , texte de Jean Cocteau, mise en scène d’Ivo Van Hove, du 5 au 9 novembre à l’Espace Cardin, Théâtre de la Ville. En néerlandais, surtitré en français
Une jeune femme seule attend désespérément le dernier appel d’un homme. Chaque fois que le combiné sonne, elle se précipite pour répondre. La ligne est brouillée ou entrecoupée. Nous n’entendons pas la voix au bout du fil, seules les réactions de la femme résonnent dans la nuit froide. Peu à peu, nous comprenons que cet homme l’a laissée pour une autre, bien qu’elle ne l’accepte pas et s’accroche à lui à tout prix. Au bord de la crise, la femme lutte contre ses démons intérieurs, se contient, rit, ment pour se retenir à la vie, et, parfois, faiblit. Le spectateur est face à la fenêtre, et, tel un voisin voyeuriste, séparé de l’actrice par une vitre, assiste à un beau moment d’intimité.
La voix humaine, ce fameux monologue conçu en 1927 par Jean Cocteau, abordant la solitude et le manque, nous plonge avec simplicité dans la complexité de l’âme humaine. Sur scène, il n’y a qu’elle et le téléphone, et pourtant l’espace nous étouffe ; entre les points de suspension qui entrecoupent chacune de ses phrases et les silences qui emplissent l’air. On ne sait rien de cette femme, ni son nom, ni son âge, ni sa profession. Elle parle, supplie, crie, cogne la vitre et se livre à une véritable bataille contre le téléphone. Et pourtant, ce combiné est la seule chose qui la raccroche à la vie, pour rien au monde elle ne voudrait s’en séparer. On voyage entre ses conversations au téléphone et ses monologues intérieurs, brouillant ainsi l’intérieur de l’extérieur, le réel de l’imaginaire, glissant peu à peu avec elle dans sa folie. Plus qu’une rupture, c’est une véritable crise d’identité que cette femme traverse. Ses démons intérieurs la déchirent, puis se tapissent dans l’ombre pour un moment, mais le fil tendu entre la vie et la mort est délicat. La fin aurait pourtant gagné en force si l’ambiguïté était restée…
Ivo Van Hove crée un théâtre de l’urgence traversé par les émotions humaines sous toutes ses formes. Il excelle dans une direction d’acteur juste et précise. La scénographie est épurée et efficace. Une femme et un téléphone comme seul ami ou ennemi. Avec sa lumière crue et forte, se réchauffant ou faiblissant quand il le faut, Jan Versweyveld, scénographe et designer lumière, qui en 2001 a rejoint la Toneelgroep Amsterdam (troupe dont Ivo Van Hove est directeur depuis 2001 et qui a maintenant fusionné avec la Stadsschouwburg Amsterdam en devenant l’International Theatre Amsterdam) en tant que photographe et scénographe, arrive à nous plonger dans des ambiances très réussies, propres à l’univers sobre, froid et puissant d’Ivo Van Hove. Halina Reijn, comédienne de Toneelgroep Amsterdam depuis 2003, passe subtilement du rire aux larmes sans jamais entrer dans le pathos. Elle nous charme par son énergie incroyable et la palette d’émotions, toujours bien nuancée, qu’elle déploie.
Ivo Van Hove, bien connu de la scène internationale, est de retour pour les 50 ans du Théâtre de la Ville avec un diptyque sur le désamour inspiré de Jean Cocteau. On attend avec impatience The Other Voice la semaine prochaine où Ramsey Nasr, acteur, réalisateur, auteur et poète de l’ensemble de Toneelgroep Amsterdam, a écrit les réponses de l’homme au combiné, librement inspiré de Cocteau. Rendez-vous donc pour la suite avec The Other Voice, mis en scène par Ivo Van Hove du 13 au 16 novembre à l’Espace Cardin !
Anouk Luthier