FESTIVAL D’AUTOMNE : « QUASI NIENTE », NOS CERTITUDES QUI BASCULENT

CRITIQUE. « Quasi niente (presque rien) » – Daria Deflorian et Antonio Tagliarini – du 23 au 31 octobre au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’Automne.

Déjà présents au Festival d’Automne en 2015 avec Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini reviennent avec force cette année au Théâtre de la Bastille. Désert rouge, petit bijou cinématographique de Michelangelo Antonioni est le point de départ de recherche artistique du duo italien. Auteurs, metteurs en scène, comédiens et performeurs, Daria Deforian et Antonio Tagliarni collaborent depuis 2008. Leur travail mêle arts contemporains et questionnements philosophique, sociologique et politique.

L’origine de ce projet remonte à la création de la pièce Il Cielo non è un fondale en 2015. En pleine recherche sur la question du rapport entre figure et paysage, Delforian et Tagliarini visionnent une nouvelle fois Le désert rouge. De là, surgissent émotions et réflexions : suffisamment de pistes d’analyse et de sensibilités convoquées pour en faire le matériau de leur prochaine création. Le duo italien ne fait pas une adaptation théâtrale de ce chef d’oeuvre cinématographique (et heureusement, car bonne chance pour s’attaquer à un film d’anthologie comme celui-ci !), mais l’utilise comme source d’inspiration pour créer leur propre objet artistique. Et Giuliana – une jeune femme belle et mystérieuse en quête désespérée de vérité dans le monde industriel d’après-guerre en Italie – interprétée de manière virtuose par Monica Vitti sera leur muse.

Pour dépeindre une anti-réalité, ce n’est pas le trio – mari, amant et femme – qui est joué sur scène, mais cinq personnages incarnant les diverses obsessions et angoisses de Giuliana. Cinq personnages se regardent, se croisent, partagent leur solitude, mais personne ne se touche. Comme si ces fantômes en quête de sens ne pouvaient se matérialiser dans ce monde réel atrophié. Les objets sur scène leur permettent de s’ancrer et de s’y perdre. Ouvrir le tiroir d’une vieille armoire et crier pour se décharger. Frapper sa tête contre le mur pour oublier. Gratter frénétiquement la planche de bois et espérer que la folie puisse s’y échapper. Ces personnages au bord de la folie (comme nous tous, au fond) offrent au public des moments de vulnérabilité et de sincérité. Sont-ils fous ou le monde est-il fou ? Notre esprit vagabonde d’un personnage à l’autre, traversé par de multiples émotions et identifications. « Il y a quelque chose de terrible dans la réalité et moi je ne sais pas ce que c’est » nous confie Giuliana. Le monde aliéné des années 60 que dépeint Antonioni prend tout à fait sens dans notre monde actuel.

« Que dois-je faire de mes yeux ? Regarder quoi ? » demande Monica Vitti dans Désert Rouge. Ses questions sont une invitation à poser un regard différent sur le monde qui nous entoure. Interroger la réalité en déplaçant notre regard. Se demander pourquoi voyons-nous cela de cette manière et non d’une autre. Pourquoi est-ce que j’agis de cette manière et non d’une autre ? Faire basculer notre monde au risque de s’y perdre et d’étouffer.

Giuliana fuit constamment la caméra. Dans la pièce, ce trouble face au regard de l’autre est réinventé. L’injonction au public de détourner le regard est efficace et questionne le regard du spectateur posé sur le comédien. « Tournez-vous ! J’ai dit : tournez-vous, je ne continue pas si vous continuez à me regarder comme ça. » A l’aune d’une crise du regard, nos certitudes basculent.

Anouk Luthier

photos Claudia Pajewski

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