« LA PLAZA », TABLEAUX VIVANTS D’EL CONDE DEL TORREFIEL

CRITIQUE. LA PLAZA, El Conde del Torrefiel, du 10 au 13 octobre au Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne.

Le rideau s’ouvre et, telle une apparition religieuse, un mausolée commémoratif garni de fleurs et de bougies s’offre à nous. Le texte commence à défiler sur l’écran du fond. Ce sont les dernières minutes d’un spectacle qui a duré 365 jours et qui s’est joué simultanément dans plusieurs villes du monde. Une musique nous invite à la contemplation et à la méditation.

Comme le dit Pablo Gisbert, co-fondateur du collectif catalan El Conde del Torrefiel qui a créé ce spectacle, « Le théâtre du futur sera fait de représentations du néant en silence, et sans autre présence humaine sur le plateau. Personne ne voudra écouter des histoires ou des idées. Personne ne voudra voir personne. L’abstraction totale. » Surpris, troublés, nous regardons en silence cette image fleurie qui nous hypnotise, nous capture. « Tu divagues », nous rappelle le texte projeté, telle une petite voix mentale qui se serait introduite dans notre tête. Le temps est suspendu. On nous vole le temps, penseront certains. Le temps aurait-il remplacé l’argent? Le spectateur accepte facilement de voir un bébé se faire égorger sur scène, mais pas de perdre son temps, nous remarque d’un ton acide et ironique le narrateur. Une fois le spectacle achevé, les rideaux se ferment.

La représentation est-elle déjà terminée ? Puis, un nouveau chapitre débute : une déambulation dans la ville, guidée par la voix de Pablo Gisbert et Tanya Beyeler, qui s’est matérialisée sur l’écran. La première image est forte ; une place où se retrouvent femmes voilées pour discuter, sac de marché à la main. Au fond, un mendiant est par terre ; devant, un militaire surveille la place, mitraillette à la main. Tension et violence latentes. Les images défilent. Nous croisons des fêtards, des touristes, et une équipe de tournage. La singularité de ces tableaux vivants : les personnes sont sans visage, ce qui procure un sentiment d’étrangeté et de beauté. Tous les individus, ces no-face book, peuvent cependant être identifiés à leur rôle social par leur attitude et leurs vêtements.

Tout au long de cette promenade nietzschéenne, des questions existentielles nous assaillent avec légèreté et humour. Pablo Gisbert et Tanya Beyeler décrivent avec ironie et poésie notre société du XXIè siècle. El Conde del Torrefiel réussit à mettre poétiquement de la distance par rapport aux images ; une distance brechtienne adaptée au XXIème siècle, où la politique a bien évolué. Un regard critique est posé sur le monde dans lequel nous vivons ; un questionnement sans morale ni idéologie, qui fait appel à nos émotions et sensations. Le texte et l’image se répondent ou se confrontent. Par moments, le texte permet de nous évader. La plaza, espace public, où se croisent ces multiples identités anonymes rappelle l’agora. Mais cet espace public qui, avant, était un lieu d’échange, est devenu un lieu de contrôle perdant toute liberté. L’hyper présent prend des allures futuristes, et ce présent ou futur qui nous attend est plutôt inquiétant.

Anouk Luthier

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