CRITIQUE. « THE OTHER SIDE OF THE GARDEN » d’après le conte « L’Histoire d’une mère » de Hans Christian Andersen. Mise en scène: Ossama Halal et le collectif Koon Théâtre Group – jusqu’au 14 octobre 2018 – Salle Jacques Huisman du Théâtre National – Bruxelles.
Curiosité
Entrer dans la salle c’est déjà être surpris. Le décor et les comédiens, en place, intrigue. Des tenues aux lumières, en passant par les objets et autres, l’ensemble a de quoi attiser la curiosité du spectateur. Un autre monde, un monde étrange et intriguant, celui d’un jardin pour le moins curieux.
L’excitation pointe déjà dans les esprits, quel sera l’issue de ce spectacle ? Qu’y a-t-il de l’autre côté de ce jardin ? Hans Christian Andersen, du conte à l’histoire, de l’histoire au vécu : témoins plus que victimes.
Qui ne connaît les contes d’Andersen ? En voici un, sans doute moins connu que les autres : « L’Histoire d’une mère » qu’Ossama Halal (metteur en scène et scénographie) décide de revisiter. Ce conte narre le parcours d’une mère dont l’enfant a été emporté par la Mort. La femme quitte sa maison pour aller à sa recherche, bien décidée à ce que la Mort le lui rende. Elle traversera bien des épreuves, et entre larmes, douleur et chantages, elle y perdra sa voix, ses cheveux et jusqu’à ses yeux avant d’arriver dans un bien étrange jardin, où chaque arbre et chaque fleur représente un humain. Qui va-t-elle y rencontrer et quelle en sera l’issue ?
« The other side of the garden » n’est que basée sur cette histoire qu’Ossama, d’origine syrienne habitant au Liban, transforme admirablement – avec le collectif Koon Theater Group – en une histoire de notre temps, une histoire terrible, sombre et pourtant bien réelle : celle des guerres et des mères qui y perdent leurs enfants aux quatre coins du monde. « Une résonnance, peut-on lire, que vivent les familles dans les pays du Moyen-Orient dévastés par la guerre ». Loin de vouloir jouer aux victimes, Ossama préfère parler de témoins et fait de ce conte une interprétation libre à la mise en scène très particulière, ce qui la rend attractive et force l’attention. L’artiste syrien y inclus des symboles, des reflets de la culture syrienne et arabe : le tamis (élément de vie, utilisé dans la cuisine pour tamiser, « se débarrasser des choses mauvaises », la graine source de vie) ; le cercle (« symbolise le commencement et la fin », « la roue de vie », « l’égalité des hommes ») ; le linceul (« les fleurs dans la pièce sont emballées dans des linges blancs : Andersen utilisait les fleurs pour représenter les humains, chez les musulmans il n’y a pas de cercueil, les morts sont enveloppés dans du linceul et ensuite on les porte en terre »). Halal est conscient du « stéréotype projeté sur les artistes venant du Moyen-Orient, comme un phénomène de mode : travailler avec des artistes provenant de pays en guerre ». Il a participé à de nombreux festivals et présentés des spectacles partout dans le monde depuis 2001, la seule chose qui a changé aujourd’hui, nous dit-il, c’est qu’il se retrouve au cœur du problème et de la douleur. Il ne se voit pas en tant que « victime mais en tant que témoin faisant des sacrifices peut-être pour survivre ». Sa recherche ? : « Provoquer la réaction chez l’autre et non pas la compassion ». (*)
Marionnettes, musique, danse, le spectacle est en langue arabe, surtitre en français. Chaque artiste y a mis du sien et de son vécu, un espace de parole, pas de rôle principal, mais tous égaux les uns aux autres. Des témoignages divers qu’ils transforment presque en poésie malgré la force et le drame qui s’y cache. C’est le vœu d’Ossama, ce qui permet d’apprécier autrement ce spectacle particulier. Les comédiens sont douceur et force à la fois.
Si le spectateur peut décrocher parfois, connaître la base de l’histoire permet d’y porter un autre regard. « The other side of the garden » un spectacle à découvrir jusqu’au 14 octobre.
Julia Garlito Y Romo
Metteur en scène et scénographie : Ossama Halal. Dramaturge : Alaa Aldin Alaalem & Hisham Hmedan. Comédiens: Hamza Hamadeh, Sara Mashmoushy, Sara Zein, Sébastien Kourani, Shadi Mokresh, Stéphanie Kayal. Composition musicale: Singhkeo Panya. Création et Production: (Studio) Théâtre National Wallonie-Bruxelles. Coproduction : les ballets C de la B.
(*) interview de Ossama Halal : http://www.theatrenational.be/backstage
Photos Hubert Amiel / TNB