CRITIQUE. Anne Teresa de Keersmaeker : « re: Rosas », avec les élèves de P.A.R.T.S au CND de Pantin les 6 et 7 octobre 2018, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.
« La danse c’est de la poésie avec les bras et les jambes. »
La danse d’Anna Theresa de Keesmaker, construite de façon très minutieuse, est un assemblage de modules dans une géométrie heureuse, toujours renouvelée, semblable à celle d’un kaléidoscope. En un sens elle est intemporelle, déclinable et recyclable.
Le CND de Pantin accueillait les 6 et 7 octobre derniers l’école P.A.R.T.S fondée par la danseuse.
Le CND de Pantin, pour ceux qui ne connaissent pas, est un grand bâtiment en béton en forme de bateau , ruisselant de lumière, avec des belles rampes de montées intérieures au centre du bâtiment, à partir desquelles sont dispatchées bibliothèque, salles de répétition, auditorium. Le tout longeant le canal, une presque Venise à cinq minutes à pieds du périphérique.
Les danseurs de P.A.R.T.S, jeunes gens, sélection issue de 22 nationalités différentes, ont donc investi le bâtiment avec leurs professeurs, dispensant à tous échauffements, cours, et enseignement en ligne de la chorégraphie emblématique de ATK : « Rosas », reprise tellement de fois qu’elle s’appelle maintenant « re:Rosas ». Ce morceau d’anthologie, ode au monde du travail, exécuté dans toutes les parties du globe, fut représentée par une cinquantaine de danseurs amateurs sur le parvis du CND, à l’exterieur, suivi le lendemain par les solos des élèves, dans tout le rdc du batiment.
Nous étions donc dans un monde de lumière, d’ouverture, de beauté et d’intelligence, cernés par les corps jeunes et travaillés des danseuses et danseurs, me disais-je en lorgnant de la terrasse vers le canal, où trois bateaux chargés à raz bord de musiciens orientaux, Turcs ou Arméniens, d’un couple de mariés et de leurs invités, zigzaguaient gaiement sur l’eau.
L’instant d’après ceux-ci avaient débarqué sur les rives opposées du CND et l’on entendait jouer gaiement les flûtes stridentes des musiciens tandis que la noce se continuait sur la berge.
En grignotant mon minuscule cookie cuisiné avec amour et payé à prix d’or, en considérant la nature du public convié ce jour-là à la fête, et le niveau socio culturel des personnes qui étaient avec moi abritées dans ce beau bâtiment, je me dis que finalement le CND de Pantin aurait pu être ce jour-là, à Meudon, Boulogne, ou Sèvres, ça n’aurait pas changé grand chose. En discutant avec les élèves de P.A.R.T.S et en mesurant le niveau d’ouverture et de pédagogie innovante auxquels il avaient accès, je me dis aussi que l’enseignement artistique tel qu’il y est dispensé devrait servir de modèles aux personnes qui réfléchissent un peu sur le sens à donner à une éducation nationale.
Que le soin de fabriquer des artistes, ou personnes capables de gestes créateurs, dans la plus grande ouverture possible, devrait aussi être donné aux professeurs dans les écoles de la république. Et que, le travail du corps en lien avec celui de l’esprit et de l’âme, est une médecine qui devrait être bue par tous et nous éviterait bien des déboires liés au racisme, à la mysoginie, à lutte des classes, à l’ignorance, à la bêtise, et aussi qu’il conviendrait d’ouvrir les portes des écoles à ces mêmes artistes, leur faire vraiment une place au sein de l’institution scolaire, au quotidien, pour que tous les établissements liés à l’art et à la culture attirent sans peine en leur sein une population diversifiée, car telle est aussi leur mission.
Ce week-end le CND de Pantin aidé du Festival d’automne a vibré des joyeuses performances des élèves de P.A.R.T.S et de leurs aficionados, danseurs et amateurs, pour le plaisir de presque tous.
Claire Denieul